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ŒDIPE,

Scène II

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JOCASTE, DIRCÉ.
Dircé.

Tout est-il prêt, Madame, et votre Tirésie
830Attend-il aux autels la victime choisie ?

Jocaste.

Non, ma fille ; et du moins nous aurons quelques jours
À demander au ciel un plus heureux secours.
On prépare à demain exprès d’autres victimes.
Le peuple ne vaut pas[1] que vous payiez ses crimes :
835Il aime mieux périr qu’être ainsi conservé ;
Et le Roi même, encor que vous l’ayez bravé,
Sensible à vos malheurs autant qu’à ma prière,
Vous offre sur ce point liberté toute entière.

Dircé.

C’est assez vainement qu’il m’offre un si grand bien,
840Quand le ciel ne veut pas que je lui doive rien ;
Et ce n’est pas à lui de mettre des obstacles
Aux ordres souverains que donnent ses oracles.

Jocaste.

L’oracle n’a rien dit.

Dircé.

L’oracle n’a rien dit.Mais mon père a parlé ;
L’ordre de nos destins par lui s’est révélé ;
845Et des morts de son rang les ombres immortelles
Servent souvent aux dieux de truchements fidèles.

Jocaste.

Laissez la chose en doute, et du moins hésitez
Tant qu’on ait par leur bouche appris leurs volontés.

Dircé.

Exiger qu’avec nous ils s’expliquent eux-mêmes,

  1. Voltaire a substitué : « ne veux pas, » à « ne vaut pas. »