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ŒDIPE.

Tout menaçoit en elle, et des restes de sang
600Par un prodige affreux lui dégouttoient du flanc[1].
À ce terrible aspect la reine s’est troublée,
La frayeur a couru dans toute l’assemblée,
Et de vos deux amants j’ai vu les cœurs glacés[2]
À ces funestes mots que l’ombre a prononcés :
605« Un grand crime impuni cause votre misère ;
Par le sang de ma race il se doit effacer[3] ;
Mais à moins que de le verser,
Le ciel ne se peut satisfaire ;
Et la fin de vos maux ne se fera point voir
610Que mon sang n’ait fait son devoir. »
Ces mots dans tous les cœurs redoublent les alarmes ;
L’ombre, qui disparaît, laisse la Reine en larmes,
Thésée au désespoir, Æmon tout hors de lui ;
Le roi même arrivant partage leur ennui ;
615Et d’une voix commune ils refusent une aide
Qui fait trouver le mal plus doux que le remède.

Dircé.

Peut-être craignent-ils que mon cœur révolté
Ne leur refuse un sang qu’ils n’ont pas mérité ;
Mais ma flamme à la mort m’avait trop résolue,
620Pour ne pas y courir quand les Dieux l’ont voulue.
Tu m’as fait sans raison concevoir de l’effroi ;
Je n’ai point dû trembler, s’ils ne veulent que moi.
Ils m’ouvrent une porte à sortir d’esclavage,
Que tient trop précieuse un généreux courage :
625Mourir pour sa patrie est un sort plein d’appas

  1. Fari horreo :
    Stetit per artus sanguine effuso horridus.
    (Sénèque. Œdipe, acte III, vers 623 et 624.)
  2. Var. Et de nos deux amants j’ai vu les cœurs glacés. (1659)
  3. Var. Par le sang de ma race il doit être effacé ;
    Mais à moins qu’il ne soit versé. (1659}