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ACTE I, SCÈNE II.

Je suis fâché pour vous que la reine sa mère
Ait su vous prévenir pour un fils de son frère[1].
Ma parole est donnée, et je n’y puis plus rien ;
160Mais je crois qu’après tout ses sœurs la valent bien.

Thésée.

Antigone est parfaite, Ismène est admirable ;
Dircé, si vous voulez, n’a rien de comparable :
Elles sont l’une et l’autre un chef-d’œuvre des cieux ;
Mais où le cœur est pris on charme en vain les yeux.
165Si vous avez aimé, vous avez su connoître
Que l’amour de son choix veut être le seul maître ;
Que s’il ne choisit pas toujours le plus parfait,
Il attache du moins les cœurs au choix qu’il fait ;
Et qu’entre cent beautés dignes de notre hommage,
170Celle qu’il nous choisit plaît toujours davantage.
Ce n’est pas offenser deux si charmantes sœurs,
Que voir en leur aînée aussi quelques douceurs.
J’avouerai, s’il le faut, que c’est un pur caprice,
Un pur aveuglement qui leur fait injustice ;
175Mais ce seroit trahir tout ce que je leur dois,
Que leur promettre un cœur quand il n’est plus à moi.

Œdipe.

Mais c’est m’offenser, moi, prince, que de prétendre
À des honneurs plus hauts que le nom de mon gendre.
Je veux toutefois être encor de vos amis ;
180Mais ne demandez plus un bien que j’ai promis.
Je vous l’ai déjà dit, que pour cet hyménée
Aux vœux du prince Æmon ma parole est donnée.
Vous avez attendu trop tard à m’en parler,
Et je vous offre assez de quoi vous consoler.
185La parole des rois doit être inviolable[2].

  1. Æmon, fils de Créon : voyez plus bas, vers 182. C’est l’un des personnages de l’Antigone de Sophocle.
  2. Ce vers se trouve déjà, en 1641, dans l’Andromède de Scudéry (acte IV,