Ainsi mon mauvais sort a de quoi me punir
Et de le délivrer et de le retenir.
Je vois dans mes prisons sa personne enfermée
Plus à craindre pour moi qu’en tête d’une armée.
Là mon bras animé de toute ma valeur
Chercheroit avec gloire à lui percer le cœur ;
Mais ici, sans défense, hélas ! qu’en puis-je faire ?
Si je pense régner, sa mort m’est nécessaire ;
Mais soudain ma vertu s’arme si bien pour lui,
Qu’en mille bataillons il auroit moins d’appui.
Pour conserver sa vie et m’assurer l’empire,
Je fais ce que je puis à le faire dédire :
Des plus cruels tyrans j’emprunte le courroux,
Pour tirer cet aveu de la reine ou de vous ;
Mais partout je perds temps, partout même constance
Rend à tous mes efforts pareille résistance.
Encore s’il ne falloit qu’éteindre ou dédaigner
En des troubles si grands la douceur de régner,
Et que pour vous aimer et ne vous point déplaire
Ce grand titre de roi ne fût pas nécessaire,
Je me vaincrois moi-même, et lui rendant l’État,
Je mettrois ma vertu dans son plus haut éclat.
Mais je vous perds, Madame, en quittant la couronne ;
Puisqu’il vous faut un roi, c’est vous que j’abandonne ;
Et dans ce cœur à vous par vos yeux combattu
Tout mon amour s’oppose à toute ma vertu.
Vous pour qui je m’aveugle avec tant de lumières,
Si vous êtes sensible encore à mes prières,
Daignez servir de guide à mon aveuglement,
Et faites le destin d’un frère et d’un amant.
Mon amour de tous deux vous fait la souveraine :
Ordonnez-en vous-même, et prononcez en reine.
Je périrai content, et tout me sera doux,
Pourvu que vous croyiez que je suis tout à vous.
Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/104
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PERTHARITE.