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Mais d’un frère si cher, qu’une sainte amitié[1]
Fait sur moi de ses maux rejaillir[2] la moitié.
Donc pour moins hasarder j’aime mieux moins prétendre,
Et pour rompre le coup que mon cœur n’ose attendre,
85Lui cédant de deux biens le plus brillant aux yeux,
M’assurer de celui qui m’est plus précieux.
Heureux si, sans attendre un fâcheux droit d’aînesse,
Pour un trône incertain j’en obtiens la Princesse,
Et puis par ce partage épargner les soupirs
90Qui naîtroient de ma peine ou de ses déplaisirs !
Va le voir de ma part, Timagène, et lui dire
Que pour cette beauté je lui cède l’empire ;
Mais porte-lui si haut la douceur de régner,
Qu’à cet éclat du trône il se laisse gagner ;
95Qu’il s’en laisse éblouir jusqu’à ne pas connoître
À quel prix je consens de l’accepter pour maître.
(Timagène s’en va, et le prince continue à parler à Laonice.)
Et vous, en ma faveur voyez ce cher objet,
Et tâchez d’abaisser ses yeux sur un sujet
Qui peut-être aujourd’hui porteroit la couronne,
100S’il n’attachoit les siens à sa seule personne[3]
Et ne la préféroit à cet illustre rang
Pour qui les plus grands cœurs prodiguent tout leur sang.

(Timagène rentre sur le théâtre[4].)
TIMAGÈNE.

Seigneur, le prince vient, et votre amour lui-même
Lui peut sans interprète offrir le diadème.

  1. Var. Mais d’un frère si cher, que les nœuds d’amitié
    Font sur moi de ses maux rejaillir la moitié. (1647-64)
  2. Les éditions de 1654 et de 1664 donnent seules rejaillir ; toutes les autres portent rejallir.
  3. Var. S’il ne la préféroit à tout ce qu’elle donne,
    Qui renonçant pour elle à cet illustre rang,
    La voudroit acheter encorde tout son sang… (1647-56)
  4. Var. TIMAGÈNE, rentrant sur le théâtre. (1647-60)