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étoient en notre pouvoir ; au moins je ne pense point avoir vu de règle qui restreigne cette liberté que j’ai prise. Je m’en suis assez bien trouvé en cette tragédie ; mais comme je l’ai poussée encore plus loin dans Héraclius, que je viens de mettre sur le théâtre[1], ce sera en le donnant au public que je tâcherai de la justifier, si je vois que les savants s’en offensent ou que le peuple en murmure. Cependant ceux qui en auront quelque scrupule m’obligeront de considérer les deux Électres de Sophocle et d’Euripide, qui conservant le même effet, y parviennent par des voies si différentes, qu’il faut nécessairement conclure que l’une des deux est tout à fait de l’invention de son auteur. Ils pourront encore jeter l’œil sur l’Iphigènie in Tauris, que notre Aristote nous donne pour exemple d’une parfaite tragédie[2], et qui a bien la mine d’être toute de même nature, vu qu’elle n’est fondée que sur cette feinte que Diane enleva Iphigénie du sacrifice dans une nuée, et supposa une biche en sa place. Enfin, ils pourront prendre garde à l’Hélène d’Euripide, où la principale action et les épisodes, le nœud et le dénoûement, sont entièrement inventés, sous des noms véritables.

Au reste, si quelqu’un a la curiosité de voir cette histoire plus au long, qu’il prenne la peine de lire Justin, qui la commence au trente-sixième livre, et l’ayant quittée, la reprend sur la fin du trente et huitième[3], et l’achève au trente-neuvième. Il la rapporte un peu autrement, et ne dit pas que Cléopatre tua son mari, mais qu’elle l’abandonna, et qu’il fut tué par le commande-

  1. Voyez ci-après, tome V, le commencement de la Notice d’Héraclius.
  2. Aristote, dans sa Poétique, cite avec éloge l’Iphigénie en Tauride ; mais nous ne voyons pas où il la « donne pour exemple d’une parfaite tragédie. »
  3. Var. (édit. de 1655) : du trente-huitième.