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Faire sonner Lamboy, Jean de Vert, et Galas[1],
Nommer quelques châteaux de qui les noms barbares
Plus ils blessent l’oreille, et plus leur semblent rares,
Avoir toujours en bouche angles, lignes, fossés,
340Vedette, contrescarpe, et travaux avancés[2] :
Sans ordre et sans raison, n’importe, on les étonne ;
On leur fait admirer les bayes qu’on leur donne[3],
Et tel, à la faveur d’un semblable débit,
Passe pour homme illustre, et se met en crédit.

CLITON.

345À qui vous veut ouïr, vous en faites bien croire.
Mais celle-ci bientôt peut savoir votre histoire.

DORANTE.

J’aurai déjà gagné chez elle quelques accès ;
Et loin d’en redouter un malheureux succès,
Si jamais un fâcheux nous nuit par sa présence,
350Nous pourrons sous ces mots être d’intelligence.
Voilà traiter l’amour, Cliton, et comme il faut.

CLITON.

À vous dire le vrai, je tombe de bien haut.
Mais parlons du festin : Urgande et Mélusine[4]
N’ont jamais sur-le-champ mieux fourni leur cuisine ;
355Vous allez au delà de leurs enchantements :

  1. Généraux de l’empereur Ferdinand III. La campagne à laquelle Dorante se vantait d’avoir pris part avait été heureuse et brillante. Le 3 novembre 1636, de Rantzau forçait Galas à lever le siège de Saint-Jean de Losne ; le 3 mars 1638, le duc de Weimar faisait prisonniers les quatre généraux de l’Empereur, et Jean de Wert était amené en triomphe à Paris ; enfin, le 17 janvier 1642, le comte de Guébriant s’emparait de la personne de Lamboy et de Merci à Kempen, et obtenait à cette occasion le bâton de maréchal de France. Un peu plus tôt ou un peu plus tard, les noms de ces généraux auraient pu éveiller de tristes souvenirs.
  2. Voyez la Notice, p. 121.
  3. Donner des bayes (baies) à quelqu’un, c’est le tromper. Voyez le Lexique.
  4. Urgande la déconnue est la fée protectrice d’Amadis de Gaule ; quant à Mélusine, son histoire est racontée tout au long par Jehan d’Arras, dans un roman publié en 1478 et dont l’extrait est devenu populaire.