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de la communauté d’un sujet populaire et classique en tout pays. La scène où Julie, la Camille de Corneille, se trouve en face de son frère victorieux, est tout indiquée par Tite Live. Il est vrai que lorsque Julie s’exprime de la sorte : « Je ne viens pas avec allégresse célébrer ce jour, si ce n’est par mes pleurs[1], » cette pensée, qui n’est pas dans Tite Live, rappelle aussitôt ces vers :

Et rends ce que tu dois à l’heur de ma victoire.
— Recevez donc mes pleurs, c’est ce que je lui dois[2] ;


mais c’est là une idée fort naturelle, et cette similitude passagère est sans doute purement fortuite[3]. Toutefois, si Corneille n’a pas eu de lui-même la pensée d’écrire une tragédie d’Horace, c’est probablement l’ouvrage de Lope, plutôt que tout autre, qui la lui a suggérée, car à cette époque il était naturel qu’il interrogeât le théâtre espagnol avec une curiosité que ne pouvaient exciter en lui au même degré de froides amplifications composées ailleurs pour la lecture plutôt que pour la scène.

Du reste, de quelque manière qu’il ait été amené à traiter ce sujet d’Horace, il est certain que cette idée s’est présentée à son esprit peu de temps après le succès du Cid. Nous n’essayerons pas de le prouver, à l’aide d’une lettre écrite de Rouen, et datée du 14 juillet 1637, où Corneille dit à Rotrou :« M. Jourdy m’a conté les plus belles choses de son voyage de Dreux, et me donne grande envie de venir vous voir dans votre belle famille ; mais c’est un plaisir que je ne saurai avoir encore de longtemps, vu que je veux vous montrer une nouvelle pièce qui est loin d’être finie. » Ce n’est pas là un témoignage suffisant à nos yeux, car nous aurons plus tard à présenter contre l’authenticité de ce document des objections

  1. No vengo con alegria
    à celebrar este dia,
    sino con mi llanto triste.

  2. Acte IV, scène v, vers 1256 et 1257.
  3. Nous nous plaisons à rappeler que M. Viguier a bien voulu relire à notre profit les auteurs dramatiques espagnols qui ont traité les mêmes sujets que Corneille ; c’est à lui que nous devons la plupart des considérations qui précèdent.