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ACTE IV, SCÈNE II.

1180Que ton père en lui seul se voit ressuscité ;
Et si tu veux enfin qu’en deux mots je m’explique,
Tu poursuis en sa mort la ruine publique.
Quoi ! pour venger un père est-il jamais permis
De livrer sa patrie aux mains des ennemis ?
1185Contre nous ta poursuite est-elle légitime,
Et pour être punis avons-nous part au crime ?
Ce n’est pas qu’après tout tu doives épouser
Celui qu’un père mort t’obligeoit d’accuser :
Je te voudrois moi-même en arracher l’envie ;
1190Ôte-lui ton amour, mais laisse-nous sa vie.

Chimène.

Ah ! ce n’est pas à moi d’avoir tant de bonté[1] ;
Le devoir qui m’aigrit n’a rien de limité.
Quoique pour ce vainqueur mon amour s’intéresse,
Quoiqu’un peuple l’adore et qu’un roi le caresse,
1195Qu’il soit environné des plus vaillants guerriers,
J’irai sous mes cyprès accabler ses lauriers.

L’Infante.

C’est générosité quand pour venger un père
Notre devoir attaque une tête si chère ;
Mais c’en est une encor d’un plus illustre rang,
1200Quand on donne au public les intérêts du sang.
Non, crois-moi, c’est assez que d’éteindre ta flamme ;
Il sera trop puni s’il n’est plus dans ton âme.
Que le bien du pays t’impose cette loi :
Aussi bien, que crois-tu que t’accorde le Roi ?

Chimène.

1205Il peut me refuser, mais je ne puis me taire[2].

  1. Var. Ah ! Madame, souffrez qu’avecque liberté
    Je pousse jusqu’au bout ma générosité.
    Quoique mon cœur pour lui contre moi s’intéresse. (1637-56)
    Var. Ah ! ce n’est pas à moi d’avoir cette bonté. (1660)
  2. Var. Il peut me refuser, mais je ne me puis taire. (1637-56)