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LE CID.

1040Étant sorti de vous et nourri par vos soins.
Je m’en tiens trop heureux, et mon âme est ravie
Que mon coup d’essai plaise à qui je dois la vie ;
Mais parmi vos plaisirs ne soyez point jaloux
Si je m’ose à mon tour satisfaire après vous[1].
1045Souffrez qu’en liberté mon désespoir éclate ;
Assez et trop longtemps votre discours le flatte.
Je ne me repens point de vous avoir servi ;
Mais rendez-moi le bien que ce coup m’a ravi.
Mon bras, pour vous venger, armé contre ma flamme,
1050Par ce coup glorieux m’a privé de mon âme ;
Ne me dites plus rien ; pour vous j’ai tout perdu :
Ce que je vous devois, je vous l’ai bien rendu.

Don Diègue.

Porte, porte plus haut le fruit de ta victoire[2] :
Je t’ai donné la vie, et tu me rends ma gloire ;
1055Et d’autant que l’honneur m’est plus cher que le jour,
D’autant plus maintenant je te dois de retour.
Mais d’un cœur magnanime éloigne ces foiblesses[3] ;
Nous n’avons qu’un honneur, il est tant de maîtresses[4] !
L’amour n’est qu’un plaisir, l’honneur est un devoir[5].

Don Rodrigue.

Ah ! que me dites-vous ?


    Qu’étant sorti de vous je ne pouvois pas moins.
    Je me tiens trop heureux, et mon âme est ravie (a’). (1637-56)
    (a) Où fut l’indigne affront que ton courage efface. (1637 in-4o I.)
    (a’) L’édition de 1644 in-4o porte : « et mon âme ravie. »

  1. Var. Si j’ose satisfaire à moi-même après vous. (1637-60)
  2. Var. Porte encore plus haut le fruit de ta victoire. (1637-56)
  3. Var. Mais d’un si brave cœur éloigne ces foiblesses. (1637-56)
  4. Les maximes de ce genre sur la facilité avec laquelle on remplace un amant ou une maîtresse sont fréquentes dans le théâtre de Corneille :
    En la mort d’un amant vous ne perdez qu’un homme,
    Dont la perte est facile à réparer dans Rome.
    (Horace, acte IV, scène III.)


    Vous trouverez dans Rome assez d’autres maîtresses.
    (Polyeucte, acte II, scène I.)
  5. Var. L’amour n’est qu’un plaisir, et l’honneur un devoir. (1637-56)