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LE CID.
Don Rodrigue.

Va, je ne te hais point.Tu le dois.

Chimène.

Va, je ne te hais point.Tu le dois.Je ne puis.

Don Rodrigue.

Crains-tu si peu le blâme, et si peu les faux bruits ?
965Quand on saura mon crime, et que ta flamme dure,
Que ne publieront point l’envie et l’imposture !
Force-les au silence, et sans plus discourir,
Sauve ta renommée en me faisant mourir.

Chimène.

Elle éclate bien mieux en te laissant la vie[1] ;
970Et je veux que la voix de la plus noire envie
Élève au ciel ma gloire et plaigne mes ennuis,
Sachant que je t’adore et que je te poursuis.
Va-t’en, ne montre plus à ma douleur extrême
Ce qu’il faut que je perde, encore que je l’aime.
975Dans l’ombre de la nuit cache bien ton départ :
Si l’on te voit sortir, mon honneur court hasard.
La seule occasion qu’aura la médisance,
C’est de savoir qu’ici j’ai souffert ta présence :
Ne lui donne point lieu d’attaquer ma vertu.

Don Rodrigue.

Que je meure !

Chimène.

Que je meure !Va-t’en.

Don Rodrigue.

980Que je meure !Va-t’en.À quoi te résous-tu ?

Chimène.

Malgré des feux si beaux, qui troublent ma colère[2],
Je ferai mon possible à bien venger mon père ;
Mais malgré la rigueur d’un si cruel devoir,

  1. Var. Elle éclate bien mieux en te laissant en vie. (1637-52 et 55)
  2. Var. Malgré des feux si beaux, qui rompent ma colère. (1637-56)