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ACTE III, SCÈNE IV.

C’est reculer ta gloire autant que mon supplice.
Je mourrai trop heureux, mourant d’un coup si beau.

Chimène.

940Va, je suis ta partie, et non pas ton bourreau.
Si tu m’offres ta tête, est-ce à moi de la prendre ?
Je la dois attaquer, mais tu dois la défendre[1] ;
C’est d’un autre que toi qu’il me faut l’obtenir,
Et je dois te poursuivre, et non pas te punir.

Don Rodrigue.

945De quoi qu’en ma faveur notre amour t’entretienne,
Ta générosité doit répondre à la mienne ;
Et pour venger un père emprunter d’autres bras,
Ma Chimène, crois-moi, c’est n’y répondre pas :
Ma main seule du mien a su venger l’offense,
950Ta main seule du tien doit prendre la vengeance.

Chimène.

Cruel ! à quel propos sur ce point t’obstiner ?
Tu t’es vengé sans aide, et tu m’en veux donner !
Je suivrai ton exemple, et j’ai trop de courage
Pour souffrir qu’avec toi ma gloire se partage.
955Mon père et mon honneur ne veulent rien devoir
Aux traits de ton amour ni de ton désespoir.

Don Rodrigue.

Rigoureux point d’honneur ! hélas ! quoi que je fasse,
Ne pourrai-je à la fin obtenir cette grâce ?
Au nom d’un père mort, ou de notre amitié,
960Punis-moi par vengeance, ou du moins par pitié.
Ton malheureux amant aura bien moins de peine
À mourir par ta main qu’à vivre avec ta haine.

Chimène.

Va, je ne te hais point.

  1. Var. Je la dois attaquer, mais tu la dois défendre. (1648-56)