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LE CID.
Chimène.

Sire, de trop d’honneur ma misère est suivie.
Je vous l’ai déjà dit, je l’ai trouvé sans vie[1] ;
675Son flanc étoit ouvert ; et pour mieux m’émouvoir[2],
Son sang sur la poussière écrivoit mon devoir ;
Ou plutôt sa valeur en cet état réduite
Me parloit par sa plaie, et hâtoit ma poursuite ;
Et pour se faire entendre au plus juste des rois,
680Par cette triste bouche elle empruntoit ma voix.
Sire, ne souffrez pas que sous votre puissance
Règne devant vos yeux une telle licence ;
Que les plus valeureux, avec impunité,
Soient exposés aux coups de la témérité ;
685Qu’un jeune audacieux triomphe de leur gloire,
Se baigne dans leur sang, et brave leur mémoire.
Un si vaillant guerrier qu’on vient de vous ravir[3]
Éteint, s’il n’est vengé, l’ardeur de vous servir.
Enfin mon père est mort, j’en demande vengeance,
690Plus pour votre intérêt que pour mon allégeance.
Vous perdez en la mort d’un homme de son rang :
Vengez-la par une autre, et le sang par le sang[4].
Immolez, non à moi, mais à votre couronne[5],
Mais à votre grandeur, mais à votre personne ;
695Immolez, dis-je, Sire, au bien de tout l’État
Tout ce qu’enorgueillit un si haut attentat.

  1. Var. J’arrivai donc sans force, et le trouvai sans vie. (1637-60)
  2. Var. Il ne me parla point, mais pour mieux m’émouvoir. (1637-56)
  3. Var. Un si vaillant guerrier qu’on vous vient de ravir. (1644 in-12)
    Var. Un si vaillant guerrier qu’on vient de nous ravir. (1654 et 56)
  4. L’édition de 1637 in-4o I., et les éditions de 1638 L., de 1639, de 1644 in-4o et de 1648 portent :
    Vengez-la par un autre, et le sang par le sang.
  5. Var. Sacrifiez don Diègue et toute sa famille
    À vous, à votre peuple, à toute la Castille :
    Le soleil qui voit tout ne voit rien sous les cieux
    Qui vous puisse payer un sang si précieux. (1637-56)