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ACTE V, SCÈNE III. 515

Que de les voir sans trouble et sans émotion.
Puisque mon teint se fane et ma beauté se passe,
Il est bien juste aussi que ton amour se lasse ;
Et même je croirai que ce feu passager
En l’amour conjugal ne pourra rien changer :
Songe un peu toutefois à qui ce feu s’adresse,
En quel péril te jette une telle maîtresse.
xx Dissimule, déguise, et sois amant discret.
Les grands en leur amour n’ont jamais de secret ;
Ce grand train qu’à leurs pas leur grandeur propre attache
N’est qu’un grand corps tout d’yeux à qui rien ne se cache,
Et dont il n’est pas un qui ne fît son effort
À se mettre en faveur par un mauvais rapport.
Tôt ou tard Florilame apprendra tes pratiques,
Ou de sa défiance, ou de ses domestiques ;
Et lors (à ce penser je frissonne d’horreur)
À quelle extrémité n’ira point sa fureur !
Puisqu’à ces passe-temps ton humeur te convie,
Cours après tes plaisirs, mais assure ta vie.
Sans aucun sentiment je te verrai changer,
Lorsque tu changeras sans te mettre en danger.

Clindor.

Encore une fois donc tu veux que je te die
Qu’auprès de mon amour je méprise ma vie ?
Mon âme est trop atteinte, et mon cœur trop blessé,
Pour craindre les périls dont je suis menacé.
Ma passion m’aveugle, et pour cette conquête
C’est hasarder trop peu de hasarder ma tête :
C’est un feu que le temps pourra seul modérer ;
C’est un torrent qui passe et ne sauroit durer.

Isabelle.

Eh bien ! cours au trépas, puisqu’il a tant de charmes,


1. Var. Pourvu qu’à tout le moins tu changes sans danger. (1639-57)