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Scène IV.

Créon, Créuse, Cléone.


Créuse.

Où fuyez-vous de moi, cher auteur de mes jours ?
Fuyez-vous l’innocente et malheureuse source
D’où prennent tant de maux leur effroyable course ?
Ce feu qui me consume et dehors et dedans
Vous venge-t-il trop peu de mes vœux imprudents ?
Je ne puis excuser mon indiscrète envie
Qui donne le trépas à qui je dois la vie :
Mais soyez satisfait des rigueurs de mon sort,
Et cessez d’ajouter votre haine à ma mort.
L’ardeur qui me dévore, et que j’ai méritée,
Surpasse en cruauté l’aigle de Prométhée,
Et je crois qu’Ixion au choix des châtiments
Préférerait sa roue à mes embrasements.

Créon.

Si ton jeune désir eut beaucoup d’imprudence,
Ma fille, j’y devais opposer ma défense.
Je n’impute qu’à moi l’excès de mes malheurs,
Et j’ai part en ta faute ainsi qu’en tes douleurs.
Si j’ai quelque regret, ce n’est pas à ma vie,
Que le déclin des ans m’aurait bientôt ravie :
La jeunesse des tiens, si beaux, si florissants,
Me porte au fond du cœur des coups bien plus pressants.
Ma fille, c’est donc là ce royal hyménée
Dont nous pensions toucher la pompeuse journée !