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MÉDÉE.

Mon père, tout caduc, émouvant ma pitié,
Je conjurai Médée, au nom de l’amitié…

Pollux.

J’ai su comme son art, forçant les destinées,
Lui rendit la vigueur de ses jeunes années :
55Ce fut, s’il m’en souvient, ici que je l’appris ;
D’où soudain un voyage en Asie entrepris
Fait que, nos deux séjours divisés par Neptune,
Je n’ai point su depuis quelle est votre fortune ;
Je n’en fais qu’arriver.

Jason.

Je n’en fais qu’arriver. Apprenez donc de moi
60Le sujet qui m’oblige à lui manquer de foi.
Malgré l’aversion d’entre nos deux familles,
De mon tyran Pélie elle gagne les filles[1],
Et leur feint de ma part tant d’outrages reçus,
Que ces faibles esprits sont aisément déçus.
65Elle fait amitié, leur promet des merveilles,
Du pouvoir de son art leur remplit les oreilles ;
Et pour mieux leur montrer comme il est infini,
Leur étale surtout mon père rajeuni.
Pour épreuve elle égorge un bélier à leurs vues,
70Le plonge en un bain d’eaux et d’herbes inconnues,
Lui forme un nouveau sang avec cette liqueur,
Et lui rend d’un agneau la taille et la vigueur.
Les sœurs crient miracle, et chacune ravie
Conçoit pour son vieux père une pareille envie,
75Veut un effet pareil, le demande, et l’obtient ;
Mais chacune a son but. Cependant la nuit vient :
Médée, après le coup d’une si belle amorce[2],
Prépare de l’eau pure et des herbes sans force,

  1. Var. Du vieux tyran Pélie elle gagne les filles. (1639-57)
  2. Var. Médée, après ce coup d'une si belle amorce. (1652-57)