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ACTE I, SCÈNE I.


Jason.

Aussi je ne suis pas de ces amants vulgaires ;
30J’accommode ma flamme au bien de mes affaires ;
Et sous quelque climat que me jette le sort[1],
Par maxime d’État je me fais cet effort.
Nous voulant à Lemnos rafraîchir dans la ville,
Qu’eussions-nous fait, Pollux, sans l’amour d’Hypsipyle ?
35Et depuis à Colchos, que fit votre Jason,
Que cajoler Médée et gagner la toison ?
Alors, sans mon amour, qu’eût fait votre vaillance[2] ?
Eût-elle du dragon trompé la vigilance ?
Ce peuple que la terre enfantait tout armé,
40Qui de vous l’eût défait, si Jason n’eût aimé ?
Maintenant qu’un exil m’interdit ma patrie,
Créuse est le sujet de mon idolâtrie ;
Et j’ai trouvé l’adresse, en lui faisant la cour[3],
De relever mon sort sur les ailes d’Amour.

Pollux.

45Que parlez-vous d’exil ? La haine de Pélie…

Jason.

Me fait, tout mort qu’il est, fuir de sa Thessalie.

Pollux.

Il est mort !

Jason.

Il est mort ! Écoutez, et vous saurez comment
Son trépas seul m’oblige à cet éloignement[4].
Après six ans passés, depuis notre voyage,
50Dans les plus grands plaisirs qu’on goûte au mariage,

  1. Var. Et sous quelque climat que le sort me jetât,
    Je serois amoureux par maxime d’État. (1639)
  2. Var. Alors, sans mon amour, qu’étoit votre vaillance ? (1639-55)
  3. Var. Et que pouvois-je mieux que lui faire la cour,
    Et relever mon sort sur les ailes d’Amour ? (1630)
  4. Var. Son trépas seul me force à cet éloignement. (1639-57)