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Aglante

Plaignons-nous, mais du ciel, qui fait que le trépas

Au plus beau de notre âge a pour nous tant d’appas.

Cléonice

N’accuse point le ciel de ce que fait ton père.

Aglante

Mon âme, c’est de là que part notre misère ;

C’est lui qui nous traverse, et les Dieux sont jalous

Qu’en leur temple mes vœux ne s’adressaient qu’à vous.

Au pied de leurs autels j’adorais leur image :

Etait-ce donc vous rendre un trop léger hommage ?

O Dieux ! d’un feu si pur faites-vous un forfait ?

Vous pouvais-je adorer en un plus beau portrait ?

Que votre jalousie ou votre haine éclate,

Jusque dans le tombeau j’adorerai Mégate.

Inventez des tourments à me priver du jour :

Ma vie est en vos mains, mais non pas mon amour.

Cléonice

N’irrite point les Dieux et retiens ces blasphèmes ;

Je te jure, mon cœur, les puissances suprêmes,

Dont la seule bonté nous pourra secourir,

Que si tu n’es à moi, je saurai bien mourir.

Aglante

Parmi tant de malheurs quel bonheur est le nôtre,

Puisqu’en dépit du sort nous vivons l’un en l’autre !

Et s’il nous faut mourir, nous finirons ainsi.

Cléonice

Adieu, ma chère vie, éloigne-toi d’ici ;

Fuis ce fatal hymen qu’un père te prépare.

Aglante

Oui, je vais vous quitter, de peur qu’il nous sépare ;

Mais avec un serment, que malgré son effort,

Nous aurons pour nous joindre, ou l’hymen ou la mort.