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Mes feux en recevoient une nouvelle force,
Et toujours leur ardeur en croissoit de moitié.

Ce que cherchoit par là mon âme peu rusée,
De contraires moyens me l’ont fait obtenir ;
1500Je suis libre à présent qu’elle est désabusée,
Et je ne l’abusois que pour le devenir.

Impuissant ennemi de mon indifférence,
Je brave, vain Amour, ton débile pouvoir :
Ta force ne venoit que de mon espérance,
1505Et c’est ce qu’aujourd’hui m’ôte son désespoir.

Je cesse d’espérer et commence de vivre ;
Je vis dorénavant, puisque je vis à moi ;
Et quelques doux assauts qu’un autre objet me livre,
C’est de moi seulement que je prendrai la loi.

1510Beautés, ne pensez point à rallumer ma flamme[1] ;
Vos regards ne sauroient asservir ma raison ;
Et ce sera beaucoup emporté sur mon âme,
S’ils me font curieux d’apprendre votre nom.

Nous feindrons toutefois, pour nous donner carrière,
1515Et pour mieux déguiser nous en prendrons un peu,
Mais nous saurons toujours rebrousser en arrière,
Et quand il nous plaira nous retirer du jeu.

Cependant Angélique enfermant dans un cloître
Ses yeux dont nous craignions la fatale clarté,
1520Les murs qui garderont ces tyrans de paroître
Serviront de remparts à notre liberté.

Je suis hors de péril qu’après son mariage[2]
Le bonheur d’un jaloux augmente mon ennui,

  1. Var. Beautés, ne pensez point à réveiller ma flamme. (1637-57)
  2. Var. Je suis hors du péril qu’après son mariage. (1637-60)