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Et que notre artifice ait si mal succédé,
Qu’il me dérobe un bien qu’Alidor m’a cédé ?
Officieux ami d’un amant déplorable,
Que tu m’offres en vain cet objet adorable !
635Qu’en vain de m’en saisir ton adresse entreprend !
Ce que tu m’as donné, Doraste le surprend.
Tandis qu’il me supplante, une sœur me cajole ;
Elle me tient les mains cependant qu’il me vole.
On me joue, on me brave, on me tue, on s’en rit :
640L’un me vante son heur, l’autre son trait d’esprit ;
L’un et l’autre à la fois me perd, me désespère,
Et je puis épargner ou la sœur ou le frère !
Être sans Angélique, et sans ressentiment !
Avec si peu de cœur aimer si puissamment[1] !
645Cléandre, est-ce un forfait que l’ardeur qui te presse ?
Craignois-tu d’avouer une telle maîtresse ?
Et cachois-tu l’excès de ton affection
Par honte, par dépit, ou par discrétion[2] ?
Pouvois-tu desirer occasion plus belle[3]
650Que le nom d’Alidor à venger ta querelle ?
Si pour tes feux cachés tu n’oses t’émouvoir,
Laisse leurs intérêts, suis ceux de ton devoir.
On supplante Alidor, du moins en apparence,
Et sans ressentiment tu souffres cette offense !

  1. Var. [Avec si peu de cœur aimer si puissamment !]
    Que faisiez-vous, mes bras ? que faisiez-vous, ma lame ?
    N’osiez-vous mettre au jour les secrets de mon âme ?
    N’osiez-vous leur montrer ce qu’ils m’ont fait de mal ?
    N’osiez-vous découvrir à Doraste un rival ?
    [Cléandre, est-ce un forfait que l’ardeur qui te presse ?]
    Craignois-tu de rougir d’une telle maîtresse ? (1637-57)
  2. Var. Par honte, par respect, ou par discrétion ? (1637)
  3. Var. Avec quelque raison ou quelque violence,
    Que l’un de ces motifs t’obligeât au silence,
    Pour faire à ce rival sentir quel est ton bras,
    L’intérêt d’un ami ne suffisoit-il pas ?
    Pouvois-tu desirer d’occasion plus belle. (1637-57)