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LA SUIVANTE

à Florame, malgré son peu de fortune, pourvu qu’il en obtienne sa sœur. En cela, j’ai suivi la peinture que fait Quintilian d’un vieux mari qui a épousé une jeune femme, et n’ai point de scrupule de l’appliquer à un vieillard qui se veut marier. Les termes en sont si beaux, que je n’ose les gâter par ma traduction : Genus infirmissimæ servitutis est senex maritus, et flagrantius uxoriæ charitatis ardorem frigidis concipimus affectibus[1]. C’est sur ces deux lignes que je me suis cru bien fondé à faire dire de ce bonhomme :

Que s’il pouvoit donner trois Daphnis pour Florise,
Il la tiendroit encore heureusement acquise[2].

Il peut naître encore une autre difficulté sur ce que Théante et Amarante forment chacun un dessein pour traverser les amours de Florame et Daphnis, et qu’ainsi ce sont deux intrigues qui rompent l’unité d’action. À quoi je réponds, premièrement, que ces deux desseins formés en même temps, et continués tous deux jusqu’au bout, font une concurrence qui n’empêche pas cette unité ; ce qui ne serait pas si, après celui de Théante avorté, Amarante en formait un nouveau de sa part ; en second lieu, que ces deux desseins ont une espèce d’unité entre eux, en ce que tous deux sont fondés sur l’amour que Clarimond a pour Daphnis, qui

  1. IIe Déclamation (Cæcus pro limine), chap. xxiv. Corneille cite sans doute de mémoire, car dans le texte le mot flagrantius précède immédiatement frigidis. Voici comment ce passage a été rendu par un contemporain de Corneille, le sieur du Teil, avocat en parlement, dont la traduction, dédiée à Foucquet, a paru en 1659 : « Le mariage est une espéce de servitude aux vieilles gens ; leur foiblesse augmente leur passion, et il semble que leur desir s’échauffe par la froideur même de leur tempérament. »
  2. Dans la pièce, ce passage (vers 1353 et 1334) commence ainsi:
    Et s’il pouvoit donner…