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vous n’en trouverez pas en un acte plus qu’en l’autre[1]. Ce n’est pas que je me sois assujetti depuis aux mêmes rigueurs. J’aime à suivre les règles ; mais, loin de me rendre leur esclave, je les élargis et resserre selon le besoin qu’en a mon sujet, et je romps même sans scrupule celle qui regarde la durée de l’action, quand sa sévérité me semble absolument incompatible avec les beautés des événements que je décris. Savoir les règles, et entendre le secret de les apprivoiser adroitement avec notre théâtre, ce sont deux sciences bien différentes ; et peut-être que pour faire maintenant réussir une pièce, ce n’est pas assez d’avoir étudié dans les livres d’Aristote et d’Horace. J’espère un jour traiter ces matières plus à fond, et montrer[2] de quelle espèce est la vraisemblance qu’ont suivie ces grands maîtres des autres siècles, en faisant parler des bêtes et des choses qui n’ont point de corps. Cependant mon avis est celui de Térence : puisque nous faisons des poëmes pour être représentés, notre premier but doit être de plaire à la cour et au peuple, et d’attirer un grand monde à leurs représentations[3]. Il faut, s’il se peut, y ajouter les règles, afin de ne déplaire pas aux savants, et recevoir un applaudissement universel ; mais surtout gagnons la voix publique ; autrement,

  1. Chaque acte est de trois cent quarante vers.
  2. L’édition de 1657 porte par erreur : « de montrer. »
  3. Poeta, quum primum animum ad scribendum appulit,
    Id sibi negoti credidit solum dari,
    Populo ut placerent, quas fecisset fabulas.

    (Térence, Andria, prologue, vers 1-3.)

    Corneille revient ailleurs sur cette pensée : voyez les Dédicaces de Médée et de la Suite du Menteur. C’est aussi la maxime de Molière et de la Fontaine. « Je voudrois bien savoir si la grande règle de toutes les règles n’est pas de plaire, » dit le premier dans la Critique de l’École des Femmes, scène vii. « Mon principal but est toujours de plaire, » dit le second dans la Préface de Psyché.