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XXVII
PRÉFACE.

publication ; mais ceux qui, comme Corneille, parcourent glorieusement une longue carrière, ont tout le temps de revenir sur leurs ouvrages de jeunesse et d’en faire disparaître les expressions hors d’usage. Il ne manqua point d’agir ainsi : chaque édition nouvelle était pour lui une occasion de corrections et de retouches. Mais celle de 1660 est surtout remarquable à cet égard : c’est là qu’il arrête à peu près définitivement son texte, et que, désormais fixé sur les règles de la poétique, il nous donne pour la première fois les admirables Examens où il critique ses propres œuvres avec tant de franchise, et les Discours où il discute les principes mêmes de l’art. Dans celui qui est consacré aux trois unités, il dit, en parlant de la nécessité de la liaison des scènes : « Ce qui n’étoit point une règle autrefois l’est devenu maintenant par l’assiduité de la pratique[1]. » Cette remarque s’appliquerait fort bien aux préceptes de la grammaire : la plupart des points en litige avaient été décidés ; les genres des noms commençaient à se fixer ; les diverses parties du discours, mieux définies, ne s’employaient plus aussi facilement les unes pour les autres ; la syntaxe avait des principes plus sûrs et plus uniformes.

Vaugelas rédigea le premier ces règles nouvelles, et il eut d’autant moins de peine à les faire adopter qu’elles n’étaient que les simples résultats de l’usage le plus général, habilement mis en rapport avec le génie de notre langue. Ce travail si important fut présenté au public de la façon la plus simple, la plus modeste, sans aucun appareil d’érudition, sans la moindre prétention philosophique. Cela devait plaire à Corneille, qui attacha, en effet, une grande importance à ce livre. Il ne nous le dit point, mais il est facile de voir que les Remarques, publiées en 1647, ont été son principal guide dans les révisions entreprises par lui depuis cette époque. Presque partout il se conforme aux arrêts de l’habile grammairien ; et, lorsqu’il a l’intention de les suivre, s’il arrive qu’une expression souvent répétée se trouve, en certains endroits, engagée trop avant dans le tissu même de l’œuvre, et ne puisse être enlevée sans endommager l’ensemble ou sans entraîner de graves modifications, il la retranche du moins partout où il peut le faire facilement, afin que, moins fréquemment employée, elle puisse passer presque inaperçue.

Un des travers de notre temps est de faire la part trop grande à l’inspiration. Nous sommes portés à nous représenter Corneille comme un génie des plus indépendants, indomptable, audacieux, inégal, s’abandonnant sans préoccupation et sans réserve à son enthousiasme poétique. Rien n’est plus éloigné de la vérité : peu confiant en lui-même, il avait un fréquent besoin d’aide et de conseil ; plus d’une fois la veine stérile de Pierre réclamait une rime à la banale facilité de

  1. Tome I, p. 102.