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XXV
PRÉFACE.


Il est peu de titres honorifiques qu’on n’ait ainsi transportés dans les temps anciens.

On n’est pas moins surpris de voir dans Mélite, par une bizarrerie toute contraire, Éraste qui, pendant un accès de folie, se croit poursuivi par toutes les divinités infernales, et invoque les Dieux comme un païen pourrait le faire ; mais c’était encore là une tradition, trop fidèlement suivie par Corneille. Dans l’Eugène de Jodelle, le principal personnage n’agit pas autrement (acte III, scène ii)) :

Ô Iupiter ! que sommes-nous ?
Pouuons-nous rien de nous promettre ?


s’écrie-t-il dans un moment d’abattement, soit que les poëtes d’alors aient contracté cette habitude par la traduction des auteurs profanes, soit qu’elle ait eu une sorte de fondement réel, et qu’à cette époque, dans une société imbue de la connaissance de l’antiquité, les expressions par Jupiter, par les Dieux, aient eu effectivement cours dans la conversation, précisément pour éviter des jurements plus en rapport avec nos croyances, et par cela même plus répréhensibles.

Les mots qui désignent les différentes classes et catégories de personnes méritent attention. Quant à la forme, ils sont les mêmes qu’aujourd’hui ; mais quant à la signification, ils sont entièrement différents. C’est en pareil cas surtout qu’il importe d’oublier ce que l’on sait, et de ne juger du sens d’une expression que par celui de la phrase entière. Rien ne trompe davantage les Français médiocrement lettrés, persuadés bien gratuitement qu’ils connaissent leur langue, et plus déroutés souvent que les étrangers qui doutent et cherchent.

Au dix-septième siècle, pour être honnête homme la probité ne suffisait pas ; on dirait même que c’était, à tout prendre, la moins nécessaire des qualités requises : on devait d’abord être du monde, c’est-à-dire en connaître le ton et le langage ; puis avoir de l’esprit, de la grâce, de la tournure ; enfin répondre à un idéal que bien des contemporains se sont efforcés de définir, mais dont ils n’ont jamais su nous indiquer que les traits principaux.

Les gens de lettres formaient une classe toute nouvelle, qui n’était généralement désignée sous ce nom que depuis peu de temps, bien qu’il paraisse déjà dans les Commentaires de Blaise de Montluc. Les jeunes gens qui fréquentaient les cours des écoles ne s’intitulaient pas étudiants, et souffraient qu’on les appelât écoliers. Le mot artisan était appliqué par la Fontaine aux peintres, par Boileau aux sculpteurs, par Corneille aux poëtes ; et le terme d’ouvrier se disait alors fort bien d’une personne à laquelle on accorderait aujourd’hui sans conteste le titre d’artiste. Les marchands parlaient de leur chalandise, et le désir d’employer des expressions plus relevées ne devait pas de sitôt leur suggérer la ridicule pensée de se servir des mots de