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XVIII
LEXIQUE DE CORNEILLE.

les sujets religieux, philosophiques, littéraires, et où, comme dans un combat à armes courtoises, la politesse n’excluait la vivacité ni de l’attaque ni de la défense.

Ce précieux secours manquait aux prédécesseurs de Corneille, au milieu de ce seizième siècle si intelligent et si agité, où les vertus, les vices, les ambitions, les talents, le génie, la médiocrité, luttaient pêle-mêle, sans que l’unité ni la mesure existassent nulle part. Mais lorsque Mélite parut, ce langage exquis de la conversation avait déjà eu le temps de se former, sans aucun profit toutefois pour nos auteurs dramatiques, qui écrivaient encore dans le style de convention, le style factice, de l’école de Ronsard. Notre poète comprit le premier, dès son début, l’importance de cet élément nouveau, et il sut s’en servir, non-seulement comme d’un exemple utile pour le langage de la comédie, mais encore comme d’un point de départ pour s’élever à celui de la tragédie, qui, sauf les passages où la passion domine, n’est, à bien prendre, qu’une suite de conversations entre personnages illustres.

Dans les ouvrages de Corneille, le style noble diffère plus du langage ordinaire par l’exclusion de certains mots que par l’emploi fréquent d’expressions sonores et d’élégances convenues. Encore notre poëte se montre-t-il fort sobre d’exclusions, et désirant se renfermer le plus possible dans le vocabulaire courant, il n’en retranche rien qu’à regret. Mais tandis que les esprits sages et justes restreignaient de plus en plus l’usage des termes de Ronsard, l’hôtel de Rambouillet, qui, à bien des égards, avait conservé les traditions de la Pléiade, poursuivait rapidement son travail de proscription sur le fond même de notre langue, avec autant de tranquillité, autant de confiance, que si les mots étranges dont on prétendait l’avoir enrichie eussent été admis définitivement : si bien que le style noble, ainsi travaillé par les écrivains judicieux qui retranchaient les importations maladroites, et par les précieuses qui écartaient avec soin les mots du langage ordinaire, ressemblait fort à cet homme entre deux âges dont les fabulistes nous ont raconté la plaisante mésaventure.

Rien du reste ne serait plus délicat que de dresser définitivement, sans mauvais goût comme sans pruderie, la liste des mots qui ne doivent jamais entrer dans le style noble. L’important est d’en bannir sans retour toute pensée puérile et mesquine. Quand Horace critique ce vers de Furius Bibaculus (livre II, satire v, vers 41) :

Jupiter hibernas caria nive conspuet Alpes,


c’est plus encore parce que l’image n’est pas d’une ampleur suffisante pour l’idée, que pour ce qu’il y a de répugnant dans l’expression.