Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 11.djvu/30

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
XVI
LEXIQUE DE CORNEILLE.

Parfois notre poète emprunte à la langue espagnole des tournures et des locutions toutes faites. S’il faut en croire Ménage, la phrase donner la main, darse las manos, pour se promettre mariage, se marier, s’épouser, est de ce nombre[1].

Eu recherchant, chez les contemporains de notre poëte et dans ses propres œuvres, les rares témoignages relatifs aux façons de parler introduites par lui dans la langue, nous avons noté ce passage de la Suite du Menteur, où Corneille signale avec une certaine complaisance un proverbe auquel avait donné lieu sa précédente comédie :

La pièce a réussi, quoique foible de style,
Et d’un nouveau proverbe elle enrichit la ville :
De sorte qu’aujourd’hui presque en tous les quartiers
On dit, quand quelqu’un ment, qu’il revient de Poitiers.
(iv, 305. S. du Ment. 295-298.)


Le fait est curieux, mais il se pourrait bien que ce ne fût là qu’une simple bouffonnerie de Cliton.

Sans parler des vers du Cid que l’on cite à chaque instant, tels que :

La valeur n’attend point le nombre des années…
(iii, 129. Cid, 406),
À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire… (iii, 130. Cid, 434),
… Le combat cessa faute de combattans (iii, 175. Cid, 1328),


ce chef-d’œuvre a donné lieu à un proverbe des plus glorieux pour lui, et Pellisson nous raconte, dans son Histoire de l’Académie, qu’il passa en coutume de dire : « Cela est beau comme le Cid[2]. »

Plus heureux que ses prédécesseurs, Corneille sut constituer ce style noble dont ils avaient le sentiment, mais auquel il ne leur avait pas été donné d’atteindre, et il y parvint sans effort et presque sans travail, simplement, mais avec la simplicité du génie.

Ennemi déclaré, quoi qu’on en ait dit, de toute création de mots, n’admettant ceux de la Pléiade qu’avec un choix habile et surtout des plus discrets, ce fut dans le vocabulaire vraiment national qu’il puisa presque toujours. Il n’est pas rare de lui voir recueillir des termes

    des épreuves, la plupart corrigées à la main, dont une porte la date du 21 octobre 1775.

  1. Voyez l’article Main dans le Lexique, tome II, p. 65.
  2. On peut rappeler à ce propos que de même, en espagnol, pour vanter l’excellence de quelque œuvre, il était passé en proverbe de dire : Es de Lope, « c’est de Lope. » Voyez les Lettres de Mme de Sévigné, tome V, p. 506 et note 6.