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XIV
LEXIQUE DE CORNEILLE.

Grammaire de Palsgrave ; enfin captieux qualifie le mot projet dans Juvénal des Ursins.

Ces mots loin d’être nouveaux du temps de Corneille, commençaient, pour la plupart, à être oubliés ; ce sont de beaux débris du vocabulaire de la Pléiade, recueillis et habilement mis en œuvre par notre poëte.

Les substantifs en eur tirés de nos verbes, tels qu’offenseur et punisseur ont été créés en grand nombre par les écrivains du seizième siècle ; on les formait alors à volonté. Plusieurs sont définitivement entrés dans notre langue ; beaucoup ont disparu dès les premières années du dix-septième siècle ; d’autres, rarement employés, surprennent encore chaque fois qu’on les entend. Il en est de même de captieux et de la plupart des adjectifs de cette terminaison : tantôt tirés des adjectifs latins en osus, tantôt formés directement sur des substantifs français, ils se montrent parfois tour à tour sous deux formes, comme il arrive pour nuageux et nébuleux ; dans ce cas la première a seule pénétré dans les rangs inférieurs de la société, et Tallemant des Réaux nous raconte, dans une anecdote qu’il est impossible de reproduire ici, combien le président de Chevry[1] trouvait la seconde inquiétante dans la bouche d’une paysanne.

Quant aux réduplicatifs, on les formait, suivant le besoin, soit en parlant soit en écrivant, et il faut tenir singulièrement à donner à Corneille un grand rôle dans la création de notre vocabulaire, pour lui attribuer rapaiser, rembraser, reflatter, etc. Nous n’avons pas besoin d’ajouter que les verbes composés avec entre, dont notre poëte a fait grand usage, sont fort anciens dans notre langue.

Dans ses notes, M. Aimé-Martin indique un bon nombre de termes comme inventés par Corneille, mais toujours avec aussi peu de fondement ; ainsi éloigner la ville, en parlant d’un vaisseau, est signalé comme vieux dans une excellente remarque de Ménage sur Malherbe, et déceptif se trouve dans Garnier, qui employait aussi déceveur. Ce qu’on aura peine à croire, c’est que penser pris substantivement a passé aussi pour une création de Corneille, tandis que cet emploi des infinitifs remonte aux origines mêmes de la langue.

En voyant les commentateurs les plus estimés de nos auteurs classiques tomber, au sujet de la date des mots, dans de si fréquentes méprises, on se demande avec étonnement ce qui peut les occasionner. La confiance illimitée qu’ils accordent à Nicot doit être considérée comme une des principales causes de leurs erreurs : ils s’imaginent, bien gratuitement, que son Dictionnaire est complet, et tous les mots qu’ils n’y trouvent pas, ils les attribuent à l’auteur qu’ils publient. On

  1. Historiettes, tome I, p. 426.