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XI
PRÉFACE.

Il est tout simple qu’on rencontre ainsi dans les ouvrages antérieurs à ceux de nos auteurs classiques la plupart des expressions qu’ils nous ont fait connaître et que nous avons apprises d’eux ; on ne peut s’empêcher toutefois de s’en étonner au premier abord.

À distance un poëte grandit de tout le prestige dont l’entoure son génie ; supérieur à ses prédécesseurs, à ses contemporains, il les fait tous oublier ; on ne les lit plus, on n’ouvre même pas leurs œuvres ; peu à peu on se persuade, sans se le bien expliquer, qu’il a toujours été isolé sur ce piédestal où l’a placé la légitime admiration des siècles, et il passe bientôt pour n’avoir rien puisé nulle part, pour avoir tout créé, tout inventé, jusqu’à la langue qu’on parlait de son temps.

Il n’y a pas d’erreur plus profonde : en pareille matière chacun a son rôle ; les gens de talent, les gens d’esprit inventent souvent des mots, des tours ; les hommes de génie consacrent ceux qui sont bons, en les plaçant dans leurs chefs-d’œuvre.

Au dix-septième siècle d’ailleurs, les créations de ce genre, auxquelles l’habitude nous a rendus indifférents et même inattentifs, étaient une affaire sérieuse, qui avait ses règles, on pourrait presque dire son cérémonial. D’ordinaire c’était dans la conversation, alors assez travaillée pour devenir une œuvre littéraire, assez libre pour conserver une heureuse audace, que s’introduisaient d’abord les nouveautés ; elles passaient ensuite, le plus souvent du moins, dans la prose d’abord, subissaient le contrôle des grammairiens, et n’entraient dans la poésie que lorsqu’elles étaient définitivement reçues ; car si l’on reconnaissait aux poëtes le droit d’user avec discrétion de locutions déjà vieillies, on trouvait avec raison que presque toujours le néologisme enlevait à la fois à leurs vers la noblesse et le naturel.

Vaugelas remarque, dans sa Préfacexi), « qu’il est justement des mots comme des modes. Les sages ne hasardent jamais à faire ni l’un ni l’autre ; mais si quelque téméraire ou quelque bizarre, pour ne lui pas donner un autre nom, en veut bien prendre le hasard, et qu’il soit si heureux qu’un mot, ou qu’une mode qu’il aura inventée, lui réussisse, alors les sages, qui savent qu’il faut parler et s’habiller comme les autres, suivent, non pas, à le bien prendre, ce que le téméraire a inventé, mais ce que l’usage a reçu, et la bizarrerie est égale de vouloir faire des mots et des modes, ou de ne les vouloir pas recevoir après l’approbation publique. »

Molière a trouvé cette comparaison si juste qu’il s’en est emparé, en ayant soin toutefois de la renfermer en quatre vers :

Doit faire des h… Tout homme bien sage
Doit faire des habits ainsi que du langage,