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VIII
LEXIQUE DE CORNEILLE.

C’est luy seul qui commande, à la guerre, aux assaus ;
Il n’y à Dieu que luy, tous les autres sont faux.
(Les Iuiſues acte IV, vers 115.)

Corneille a ainsi exprimé les premières idées contenues dans ce passage :

Je n’adore qu’un Dieu, maître de l’univers,
Sous qui tremblent le ciel, la terre, et les enfers.
iii, 564. Pol. 1657 et 1658.)

Quant au dernier trait, il est reproduit d’une manière sublime dans ce vers d’Athalie (acte II, scène vii, vers 686) :

Lui seul est Dieu, Madame, et le vôtre n’est rien.

Nous a vons cité dans nos notes sur Horace un dialogue des Juives où Corneille pourrait bien aussi avoir puisé la première idée de son fameux Qu’il mourût[1].

Si le vieux poëte a été vaincu par ses successeurs, il faut reconnaître néanmoins qu’il a su exprimer de grandes pensées, dans un style simple et tout moderne. Toutefois, chez lui, de telles rencontres sont rares. On trouve souvent dans ses pièces des traits gracieux, de fraîches peintures de la campagne, des paysages calmes et riants ; mais une expression vulgaire, une trivialité vient tout à coup détourner notre attention et troubler notre plaisir. Il manque complètement de cette élévation, de cette dignité soutenue qui forme le fond du langage de la tragédie, et constitue ce que nous appelons en France le style noble.

On ne saurait, du reste, le lui reprocher ; de son temps ce style n’existait pas encore : c’est un produit des plus curieux de notre civilisation et de nos préjugés.

Dire comment le latin rustique des légions a, par son mélange avec les idiomes indigènes, formé les langues néo-latines, et en particulier la nôtre, est une tâche immense que nous n’avons pas à entreprendre ici. Remarquons seulement l’espèce d’unité qui a présidé à la formation de ce langage nouveau, presque exclusivement composé d’éléments populaires, et au-dessus duquel régnait la langue latine, qui conservait son caractère officiel. Celle-ci suffisait aux affaires, aux communications des savants, à la liturgie et aux discours d’apparat ; mais les genres les plus animés et les plus vivants lui échappaient peu à peu. Le théâtre, ou, si l’on veut, les tréteaux improvisés, sur lesquels on représentait les mystères, retentirent bien vite du français

  1. Voyez tome III, p. 325, note a.