Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 11.djvu/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
VI
LEXIQUE DE CORNEILLE.

peut dire, en parlant de Dieu, et en s’adressant à la Vierge, dont il vante « l’adorable intégrité : »

Il entre dans tes flancs, il en sort sans brisure
(ix, 46. Louanges, 715) ;


et personne n’a le droit d’être choqué de ce langage, chaste comme la science, austère comme la foi.

Notre poëte transporte ces mêmes expressions dans ses tragédies chrétiennes. Théodore, par exemple, n’hésite pas à dire :

Je saurai conserver, d’une âme résolue,
À l’époux sans macule une épouse impollue (v, 51. Théod. 780) ;


et ces mots ont paru étranges au théâtre, non pas seulement pour leur forme archaïque et passée d’usage même dans la langue de la dévotion, mais sans doute aussi parce que les critiques n’ont pas voulu comprendre l’intention du poëte et la naïve bonne foi avec laquelle il réglait son style sur son sujet.

Ce goût de Corneille pour le langage particulier de chaque science, de chaque profession, devait le conduire à employer très-souvent dans un sens figuré les termes qu’elles fournissent.

La vénerie, dont notre poëte connaissait aussi fort bien le vocabulaire, comme il l’a prouvé en plus d’un endroit de Clitandre, a donné à notre langue, suivant les curieuses remarques d’Estienne et de Bouhours, un grand nombre d’expressions familières, que Corneille n’a point négligées, telles que : être aux abois, donner dans l’aile, piper, piperie, et cent autres du même genre. Il en est quelques-unes, comme gens attitrés[1], dont la provenance est moins évidente, et qui doivent cependant être rapportées à la même origine. La fauconnerie fournit aussi un contingent considérable ; nous citerons seulement : leurre, débonnaire, entregent[2].

On comprend combien l’habitude de puiser à tant de sources diverses doit influer sur le caractère général des écrits de notre auteur, et surtout quelle variété de ton elle doit produire.

Si les observations que nous venons de faire n’ont pas été inutiles pour nous initier à un des procédés ordinaires du style de notre poëte, elles ne sont pourtant pas de nature, il faut en convenir, à satisfaire notre plus vive et plus légitime curiosité. Quand on étudie Corneille, on songe assez peu à la Galerie du Palais, à l’Illusion comique, voire même à l’Imitation : ce qu’on voudrait surprendre, c’est l’art qui a produit le Cid, Horace, Cinna, Polyeucte, et tant d’autres

  1. Voyez au tome I du Lexique, p. 88, la fin de l’article Attitré.
  2. Voyez au tome I du Lexique, p. 258 et p. 376, et au tome II, p. 50.