Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 11.djvu/17

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
III
PRÉFACE.

des Maures, dans le Cid ? Il nous apprend qu’ils ancrent, tout comme l’eût fait un marinier de Rouen racontant un événement du même genre ; ailleurs il se sert de l’expression prendre port, fort blâmée par Voltaire, qui objecte que ce n’est pas là un mot poétique. Est-il question d’art militaire ? il parle d’ordonner une armée, de quitter la campagne, de décamper, et Voltaire lui reproche encore ces locutions, toujours par le même motif. Scudéry, au contraire, si vain de ses connaissances spéciales, se plaint de ce que Corneille n’a pas écrit dans un style assez rigoureusement technique, et ne lui pardonne pas d’avoir appliqué le mot brigade à une troupe de plus de cinq cents hommes[1] ; par bonheur, Turenne, moins difficile, entendant Sertorius parler de l’assiette du camp, et employer longtemps le langage militaire avec autant de noblesse que de précision, s’écriait tout étonné : « Où donc Corneille a-t-il appris les termes de l’art de la guerre[2] ?» Il les avait appris de diverses manières, par la lecture, par l’étude de l’histoire, plus encore sans doute par la conversation. Ceux qui avaient été à la guerre, ceux surtout qui voulaient passer pour y avoir été, accumulaient à plaisir les mots techniques. Nous avons insisté, dans la Notice du Menteur[3], sur ce travers, très-com-

  1. Voyez, au tome II du Lexique, l’Appendice, p. 460, et à la page 496, la réponse de l’Académie à cette critique de Scudéry.
  2. Voyez la Notice de Sertorius, au tome IV, p. 354.
  3. Voyez tome IV, p. 120-122. — On peut ajouter aux rapprochements que nous avons faits en cet endroit ces vers de Joachim du Bellay :
     
    Ce sont beaux motz que brauade,
    Soldat, cargue, camyzade,
    Auec’ vng braue san-dieu…
    C’est pour faire vng Demi-dieu
    (Discours sur la louange de la vertu, à Salmon Macrin, tome II, p. 40 de mon édition) ;


    et ce passage de la Muse historique, où Loret nous peint les bourgeois de la Fronde de retour chez eux après un combat :

    Ensuite, étant dans leurs familles,
    Avec leurs femmes et leurs filles,
    Ils ne disoient parmi les pots
    Que mots de guerre à tous propos :
    Bombarde, canon, coulevrine,
    Demy-lune, rampart, courtine,
    Poste, terre-plein, bastion,
    Lignes, circonvallation,
    Mon tire-bourre, mon écharpe,
    Le parapet, la contrescarpe,
    Et d’autres tels mots triomphants
    Qui faisoient peur à leurs enfants.
    (Tome I, p. 243, édition de M. Ravenel.)