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[ABÎ
LEXIQUE DE LA LANGUE

Tu n’as frappé mes yeux d’un moment de clarté
Que pour les abîmer dans plus d’obscurité. iii, 314. Hor. 746.)
L’inceste où, malgré vous, tous deux je vous abîme
Recevra de ma main sa première victime. (vi, 215. Œd’. 1917.)
Tandis qu’en l’esclavage un autre hymen l’abîme. (vi, 376. Sert. 306.)
Souffrez que je vous parle, et vous puisse exprimer
Quelque part des malheurs où l’on peut m’abîmer. (vi, 534. Sophon. 1488.)
… L’autre par Néron dans le vice abîmé
Ramènera ce luxe où sa main l’a formé. (vi, 616. Oth. 947.)

S’abîmer :

Absyrte donne la main à Hypsipyle, pour sortir de cette conque qui s’abîme aussitôt dans le fleuve. (vi, 237. Desseins de la Tois.)
… Dans les doux torrents d’une allégresse entière
Tu verras s’abîmer tes maux les plus amers. (vi, 259. Tois. 114.)
Cette agréable idée, où ma raison s’abîme. (x, 163. Poés. div. 5.)
En cet heureux état avec pleine tendresse
Il saura s’abîmer dans mes doux entretiens. (viii, 671. Imit. iv, 1914.)

Voltaire fait au sujet de l’exemple de Sertorius une remarque, qui, si elle était fondée, s’appliquerait à plusieurs autres. « Le mot d’abîme, dit-il, ne convient point à l’esclavage. Pourquoi dit-on abîmé dans la douleur, dans la tristesse, etc. ? C’est qu’on y peut ajouter l’épithète de profonde ; mais un esclavage n’est point profond ; on ne saurait y être abîmé. » À ce compte, s’abîmer dans mes doux entretiens, abîmer dans l’inceste, abîmé dans le vice, seraient également des expressions répréhensibles. Il n’est pas nécessaire que le complément d’abîmer puisse recevoir l’épithète de profond, mais seulement qu’il ne présente pas une idée contraire à celle de profondeur ; abîmer convient partout où l’on se sert de plonger ; il est seulement plus énergique.

On employait jadis ce mot neutralement. Garnier a dit :

Si lorsqu’Antoine, orné de grandeur et de gloire,
Menoit ses legions dedans l’Euphrate boire,
Suiuv de tant de rois que son nom redouté
S’esleuoit triomphant jusques au ciel voûté,
Qu’il alloit disposant, maistre à sa fantasie,
Et du bien de la Grece et du bien de l’Asie,
Et qu’en un tel bonheur je l’eusse esté changer
Pour Cesar, on eust dit mon cœur estre leger,
Infidelle, inconstant ; mais ore que l’orage,
Et les vents tempestueux luy donnent au visage,
Ja, ja, prest d’abismer, helas ! que diroit-on ? (Antoine, ii, 291.)

ABJECT, ABJET.

Qui m’a fait soupirer pou… Ce désir abjet
Qui m’a fait soupirer pour un indigne objet. (i, 169. Mêl. 456.)
Ma bouillante fureur ne cherche qu’un objet ;
Va, tu l’attirerois sur un sang trop abjet. (ii, 81. Gal. du Pal. 1188.)
… Dans les plus bas rangs les noms les plus abjets
Ont voulu s’ennoblir par de si hauts projets. (iii, 438. Cin. 1207.)
… Ne dédaigner pas l’illustre et rare objet
D’une haute valeur qui part d’un sang abjet. (v, 488. D. San. 1680.)
… Ne prendra jamais un cœur assez abjet
Pour se laisser réduire à l’hymen d’un sujet. (v, 514- Nic. 65.)
Dis tout, Araspe : dis que le nom de sujet