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DE CORNEILLE.

comme régime indirect, à un verbe ou à un adjectif. Ainsi : « réserve au besoin ; je garde aux vaincus ; ennemis à mes vœux ; prétexte à quereller ; suffire à garder ; s’offrir a venger. » Nous n’avons pas besoin de faire remarquer que parmi ces tours il en est plusieurs qui sont encore en usage. Voltaire blâme cette locution en quelques endroits de Corneille où il semble s’être mépris sur son véritable sens. Il est assez embarrassant de savoir au juste ce qu’il pense du vers 1734 de Rodogune, cité plus haut (p. 3), car il se contente de dire : « Cela n’est pas français. » Au sujet du premier exemple tiré de la tragédie d’Horace (p. 3), il prononce le même arrêt dans les mêmes termes, mais du moins il développe ensuite sa pensée : « On cherche la solitude pour cacher ses soupirs, et une solitude propre à les cacher. On ne dit point une solitude, une chambre à pleurer… comme on dit une chambre à coucher. » À coup sûr, à cacher n’est pas le complément de solitude comme à coucher est celui de chambre. Le premier exemple de Sertorius (p. 3) amène une note encore plus bizarre : « C’est un barbarisme : on dit bien, il est homme à recevoir sa foi, et encore ce n’est que dans le style familier… ; mais un grand homme à faire quelque chose ne peut se dire… Vouloir à est encore plus vicieux. » C’est toujours la même préoccupation de l’usage du dix-huitième siècle, le même oubli de l’usage ancien, du très-légitime emploi de la préposition à pour marquer un grand nombre des rapports qu’on s’est plus tard habitué à rendre par pour. Cet usage a duré, en devenant peu à peu moins fréquent et disparaissant successivement de certains tours, pendant tout le dix-septième siècle, et nous aurons à en citer plus d’un exemple dans le Lexique de Racine.

À, devant un verbe à l’infinitif, après des mots que nous construisons d’ordinaire avec de.

Plusieurs des exemples qui suivent ont beaucoup d’analogie pour le sens avec ceux qui précèdent.

Il est tant de moyens à fléchir un courage ! (ii, 183. Suiv. 1090 var.)
J’aurai trop de moyens à le faire sentir
Qu’on ne m’offense point sans un prompt repentir. (ii, 202. Suiv. 1479.)
J’aurai trop de moyens à regarder ma foi. (ii, 260. Pl. roy. 691 var.)

Corneille a remplacé à par de dans le premier exemple en 1663, dans le troisième dès 1648.

Il suffit que nous n’inventions pas ce qui de soi n’est point vraisemblable, et qu’étant inventé de longue main, il soit devenu si bien de la connoissance de l’auditeur, qu’il ne s’effarouche point a le voir sur la scène. (i, 74. Disc. de la trag.)
Prendre l’ordre à mourir d’une main ennemie,
C’est mourir, pour un roi, beaucoup plus d’une fois. (ii, 398. Méd. 1175.)
César se dépouillant du pouvoir souverain,
Nous ôtoit tout prétexte à lui percer le sein. (iii, 426. Cin. 952.)
… Ce lâche attentat n’est qu’un trait de l’envie
Qui s’efforce à noircir une si belle vie. (v, 560. Nic. 1104.)
Toute ingrate qu’elle est, je tremble à lui déplaire. (vi, 51. Perth. 744.)

Ce dernier vers est reproduit textuellement dans Tite et Bérénice (vii, 213, vers 332.)

L’habitude à régner et l’horreur d’en déchoir. (vii, 382. Pulch. 15.)

De même après fuir, dans le sens d’éviter :

Ne désire donc point, fuis même à regarder
Tout ce que sans péché tu ne peux posséder. (viii, 405, Imit. iii, 2974.)

À devant un substantif que nous construisons avec de :

À quel droit gardes-tu l’aimable nom de vie ? (viii, 366. Imit. iii, 2179.)