Ô Dieux ! j’ai mangé mon partage
Sans avoir vécu que de vent[1] !
N’est-ce pas une chose étrange
Que pour trotter dedans la fange,
Je fasse faux bond au clairet,
Et que cette troupe brouillonne
M’arrache de ce cabaret
Pour vous produire ma personne ?
Je violente mon humeur
D’abandonner ce lieu charmeur ;
Toutefois je n’ose me[2] plaindre,
Étant déjà si fort gâté
Que je m’achèverois de peindre
Pour peu que j’en aurois tâté ;
Outre que mes eaux sont si basses,
À force de vider les tasses,
Qu’il faut renoncer au métier,
Ne pouvant plus laisser en gage,
Au malheureux cabaretier,
Que les rubis de mon visage.
Mais encor suis-je plus heureux
Que tant de fous et d’amoureux
Qui se sont perdus par leurs grippes[3] ;
Car bien que je sois bas d’aloi,
Mon argent, serré dans mes tripes,
N’est point sorti hors de chez moi.