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l’exprimer. C’est ce qu’ont bien reconnu nos grands maîtres du théâtre, qui n’ont jamais amené leurs héros jusques à la félicité qu’ils leur ont fait espérer, qu’ils ne se soient arrêtés là tout aussitôt, sans faire des efforts inutiles à représenter leur satisfaction, dont ils savoient bien qu’ils ne pouvoient venir à bout.

Vous êtes trop équitables pour exiger de leur écolier une chose dont leurs exemples n’ont pu l’instruire, et vous aurez même assez de bonté pour suppléer à ce défaut, et juger de la grandeur de ma joie par celle de l’honneur que vous m’avez fait en me donnant une place dans votre illustre Compagnie. Et véritablement, Messieurs, quand je n’aurois pas une connoissance particulière du mérite de ceux qui la composent ; quand je n’aurois pas tous les jours entre mes[1] mains les admirables chefs-d’œuvres[2] qui partent des vôtres ; quand je ne saurois enfin autre chose de vous, sinon que vous êtes le choix de ce grand génie qui n’a fait que des miracles, feu Monsieur le cardinal de Richelieu, je serois l’homme du monde le plus dépourvu de sens commun si je n’avois pas pour vous une estime et une vénération toutes extraordinaires, et si je ne voyois pas que[3] de la même main dont ce grand homme sapoit les fondements de la monarchie d’Espagne, il a daigné jeter ceux de votre établissement, et confier à vos soins la pureté d’une langue qu’il vouloit faire entendre et dominer par toute l’Europe. Vous m’avez fait part de cette gloire, et j’en tire encore cet

  1. Les, dans les éditions modernes.
  2. Voyez ci-dessus, p. 120, note 1.
  3. Nous donnons le texte de l’exemplaire de 1698 qui est à la Bibliothèque impériale ; celui de l’Institut porte : « toute extraordinaire, quand je vois que. » Cette dernière leçon est celle de Granet ; seulement il a changé a toute extraordinaire » en « toujours extraordinaire. »