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II

Ode sur un prompt amour[1]


Ô Dieux ! qu’elle sait bien surprendre !
Mon cœur, adore ta prison,
Et n’écoute plus ta raison[2]
Qui fait mine de te défendre ;
Accepte une si douce loi. 5
Voir Amynte et rester à soi
Sont deux choses incompatibles :
Devant une telle beauté,
C’est à faire à des insensibles
De conserver leur liberté. 10

Ses yeux, d’un pouvoir plus suprême
Que n’est l’autorité des rois,
Interdisent à notre choix
De disposer plus de nous-même.
Ravi que j’en fus à l’abord, 15

  1. Voyez ci-dessus, p. 25, la fin de la notice qui précède la pièce I.
  2. Boileau critique ces idées et ces expressions dans le second chant de l’Art poétique (vers 45-52), où il parle de ces « vains auteurs » qui
    … ne savent jamais que se charger de chaînes,
    Que bénir leur martyre, adorer leur prison,
    Et faire quereller les sens et la raison.
    Mais comme c’est là un lieu commun poétique fort rebattu, il n’est guère probable que ce soit Corneille que Boileau ait eu particulièrement en vue dans ce passage.