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Je vis auprès de vous dans une paix profonde,
Et doute, quand j’en sors, si vous êtes au monde.
Pardonnez-moi ce mot qui sent le révolté ;
Avec le cœur peut-être il est mal concerté,
Vos regards ont pour moi toujours le même charme, 25
M’offrent mêmes périls, me donnent même alarme,
Et je n’espérerois aucune guérison,
Si l’âge étoit chez vous mon seul contre-poison.
Mais grâces au bonheur de ma triste aventure,
À peine ai-je loisir d’y sentir ma blessure ; 30
Grâces à vingt amants dont chez vous on se rit,
Dès que votre œil m’y blesse, un autre œil m’y guérit.
Souffrez que je m’en flatte et qu’à mon tour je cède
Au chagrinant rival qui comme eux vous obsède,
Qui leur fait presque à tous déserter votre cour, 35
Et n’ose vous parler ni d’hymen ni d’amour.
Vous le dites du moins, et voulez qu’on le croie,
Et mon reste d’amour vous en croit avec joie :
Je fais plus, je le vois sans en être jaloux.
À votre tour, m’en croyez-vous ? 40

« Que pensez-vous, Madame, de cette galanterie ? L’auteur qui prétend que ses vieilles années lui ont acquis l’avantage d’aimer si commodément, et qui s’explique d’une manière si agréable, ne mérite-t-il pas d’être particulièrement considéré de la dame ? Il est rare de pouvoir conserver dans un âge aussi avancé que celui qu’il se donne le feu d’esprit qu’il fait paroître encore dans ces vers ; et le vieux Martian, que vous avez tant admiré dans l’admirable Pulchérie du grand Corneille, n’auroit pas parlé plus galamment, s’il avoit voulu s’éloigner du sérieux. »