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Ou laisse-moi jouir dans la paix où nous sommes
D’un repos que je viens de procurer aux hommes.
J’ai vu de tous côtés mes ennemis vaincus,
Et je suis aujourd’hui ce qu’autrefois tu fus. 100
Les lois de mon État sont aussi souveraines ;
Mes lis vont aussi loin que tes aigles romaines ;
Et pour punir le crime et l’orgueil des humains,
Mes François aujourd’hui valent les vieux Romains.
L’invincible Louis, sous qui le monde tremble, 105
Ne vaut-il pas lui seul tous les héros ensemble ?
La victoire, sous lui ne se lassant jamais,
Lui fournit des sujets de vaincre dans la paix.
Dans ce comble d’honneur où lui seul peut atteindre,
Tout désarmé qu’il est, il sait se faire craindre ; 110
Il dompte ses rivaux et sert ses alliés,
Voit, même dans la paix, des rois humiliés.
Il auroit su venger tant de lois violées,
Et tu verrois déjà tes plaines désolées,
Tu verrois et tes chefs et tes peuples soumis ; 115
Mais tu n’as pas pour lui d’assez grands ennemis ;
Et dans le mouvement de gloire qui le presse,
Tu tiens ta sûreté de ta seule foiblesse.
Que n’es-tu dans le temps où tes héros guerriers
Eussent pu lui fournir des moissons de lauriers ! 120
Pour arrêter sur toi ses forces occupées,
Où sont tes Scipions, tes Jules, tes Pompées ?
Tu le verrois courir au milieu des hasards,
Affronter tes héros, et vaincre tes Césars,
Et par une conduite aussi juste que brave, 125
Affranchir de tes fers tout l’univers esclave.
Mais puisque ta fureur ne peut se contenir,
Après tant de mépris il faudra te punir :
La gloire des héros n’est jamais assez pure,
Et le trône jaloux ne souffre point d’injure. 130
Ne te flatte plus tant sur ton divin pouvoir :
On peut mêler la force avecque le devoir.
Des monarques pieux, des princes magnanimes
Ont révéré tes lois en punissant tes crimes ;
Ils ont eu le secret de partager leurs cœurs, 135
D’être tes ennemis et tes adorateurs,
De soutenir leur rang, et sauver leur franchise,
En se vengeant de toi, mais non pas de l’Église ;
Ils ont su réprimer ton orgueil obstiné