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Tu me prêchois la paix au milieu de la guerre ;
J’ai suivi tes conseils et tes justes souhaits, 55
Et tu me fais la guerre au milieu de la paix.
Détruisant les erreurs et punissant les crimes,
J’ai soutenu l’honneur de tes saintes maximes ;
J’ai remis autrefois, en dépit des tyrans,
Dans leur trône sacré tes pontifes errants ; 60
Et faisant triompher d’une égale vaillance,
Ou la France dans Rome, ou Rome dans la France,
J’ai conservé tes droits et maintenu ta foi,
Et tu prends aujourd’hui les armes contre moi !
Quel intérêt t’engage à devenir si fière ? 65
Te reste-t-il encor quelque vertu guerrière ?
Crois-tu donc être encore au siècle des Césars,
Où parmi les fureurs de Bellone et de Mars,
Jalouse de la gloire et du pouvoir suprême,
Tu foulois à tes pieds et sceptre et diadème ? 70
Dans ce fameux état où le ciel t’avoit mis
Tu ne demandois plus que de grands ennemis ;
Et portant ton orgueil sur la terre et sur l’onde,
Tu bravois le destin des puissances du monde,
Et tu faisois marcher sous tes injustes lois 75
Un simple citoyen sur la tête des rois.
Ton destin ne t’offroit que d’illustres conquêtes,
Ta foudre ne tomboit que sur de grandes têtes,
Et tu montrois en pompe aux peuples étonnés
Des souverains captifs et des rois enchaînés. 80
Mais quelques grands exploits que l’histoire renomme,
Tu n’es plus cette fière et cette grande Rome :
Ton empire n’est plus ce qu’il fut autrefois,
Et ce n’est plus un siècle à se moquer des rois ;
On ne redoute plus l’orgueil du Capitole, 85
Qui fut jadis si craint de l’un à l’autre pôle ;
Et les peuples, instruits de tes douces vertus,
Adorent ta grandeur, mais ne la craignent plus.
Que si le ciel t’inspire encor quelque vaillance,
Va dresser tes autels jusqu’aux champs de Bisance ; 90
Anime tes Romains à quelque effort puissant,
Et va planter ta croix où règne le croissant.
Remplis les premiers rangs d’une sainte entreprise,
Et voyons marcher Rome au secours de Venise.
Pour tes sacrés autels toi-même combattant, 95
Commence ces exploits que tu nous prêches tant ;