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S’enfonce dedans l’eau, touché du moindre son ;
Mais si vous surprenez la tremblante sarcelle,
Elle gagne soudain sa niche à tire-d’aile ;
Et la tortue encor, dont l’œil est vigilant,
Prend la fuite aussitôt à pas tardif et lent. 100
C’est un plaisir de voir les soins de la nature
Fournir dans cet étang diverse nourriture
À tous ces animaux d’espèce si divers,
Dont les noms que j’ignore échapperont mes vers.
De là s’offre à vos yeux une barrière verte, 105
De qui la balustrade aux gens d’honneur ouverte,
Timandre en son fruitier leur partage à loisir
Les divertissements auxquels il prend plaisir.
Là la pomme et la poire, et la guigne et la prune,
D’une bonté de goût en ce lieu seul commune, 110
Font peine à bien juger quel est de meilleure eau,
Ou bien le fruit à pierre[1], ou le fruit au couteau.
Mais ainsi qu’au jardin, en ce fruitier encore
L’on remarque d’accord Pomone avecque Flore,
Et l’on voit naître ici de toutes les couleurs, 115
Dans le nouveau printemps, un million de fleurs,
Dont la confusion toute rare et diverse
Joint à celles d’ici les tulipes de Perse ;
Et ces riches bouquets sont si bien compassés
Qu’entre quatre pieds d’arbre ils se trouvent placés. 120
Ici l’ordre est gardé de la mathématique :
Tant d’arbres en leur plant n’ont point de ligne oblique ;
Leurs pieds bien cultivés et leur bois clair et frais
Preuvent les soins du maître, et qu’il y fait des frais.
De ces arbres si beaux l’épaisse chevelure 125
Conserve la fraîcheur d’une molle verdure,
Où divers animaux, que je ne connois pas,
Treuvent à se cacher, ou prendre leur repas.
Ici le paon de mer, deçà la macquerole,
Et la poule barbare en cet autre lieu vole ; 130
L’on voit en cet endroit courir le chevalier,
De cet autre s’enfuir le timide plouvier[2] ;
En ce lieu la perdrix, dessous l’herbe cachée,

  1. Le fruit à noyau.
  2. On dit et on écrit aujourd’hui pluvier. Ces deux formes pluvier et plouvier se trouvent dans le Trésor de Nicot en 1606, et dans le Dictionnaire français-anglais de Cotgrave en 1611.