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Et de tant de sujets qui s’offrent à la fois, 15
La plume comme l’œil fait à peine le choix.
Sur le bord d’un vallon flanqué de deux collines,
Dont la beauté fait honte aux montagnes voisines,
La maison de Timandre en situation
A de quoi lui donner un peu d’ambition : 20
Il est vrai qu’à mon goût il en est peu d’égales
Et peu que la nature ait faites ses rivales.
Ce n’est pas qu’elle soit superbe en bâtiments :
L’or n’est point profané dans ses assortiments ;
Le cinabre et le jaspe, et l’ambre, et le porphyre, 25
Ne font point les beautés que j’y trouve à décrire.
Tout ce vain apparat d’un faste ambitieux
Dégoûte plus souvent qu’il n’est délicieux.
Si dans la symétrie et dans l’architecture
L’œil ne rencontre rien qui lui fasse d’injure, 30
Il est aisé de voir qu’en sa perfection
Timandre s’est réglé sur sa condition.
Dès le premier abord l’entrée est magnifique ;
La porte en sa façon n’a rien qui soit rustique ;
L’ouverture de front présente un colombier, 25
Dont la fécondité prodigue son gibier.
À main droite, la salle en diverses peintures
Fait voir en même temps diverses aventures,
Et la croisée ouverte apporte du jardin
Les parfums excellents du myrte et du jasmin. 40
De suite la cuisine et les autres offices
Vous offrent à l’envi leurs différents services.
De ce même côté s’avance un escalier,
Dont le contournement, qui n’a rien de grossier,
Vous oblige de voir des chambres de campagne, 45
Où, sans profusion, ce qui les accompagne,
Dans les proportions de leur ameublement,
Donne aux plus délicats du divertissement.
La noix de l’escalier, qui renferme un horloge[1],
Tire des curieux, en passant, son éloge. 50
Mais pendant que vos yeux remarquent la maison,
Trente petits voleurs, retenus en prison,

  1. « Horloge. Les Normands le font masculin. La rue du gros horloge. Et c’est aussi de ce genre que le font les Gascons et les Provençaux. Il est féminin. » (Observations de Monsieur Menage sur la langue françoise. Segonde édition, Paris, Barbin, M.DC.LXXV, in-12, p. 151 et 152.)