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Vous qui sans liberté ne sauriez vivre heureux,
Et que l’illustre horreur d’un avenir funeste
A fait de l’alliance ébranler tout le reste.
En ce grand coup d’État si longtemps balancé, 75
Si tout ce reste suit, vous avez commencé[1] ;
Et Louis, qui jamais n’en perdra la mémoire,
Se promet de vous rendre à toute votre gloire ;
De rétablir chez vous l’entière liberté,
Mais ferme, mais durable à la postérité, 80
Et telle qu’en dépit de leurs destins sévères
Vos aïeux opprimés l’acquirent à vos pères.
M’en désavoueras-tu, grand Roi, si je le dis ?
Me pardonneras-tu si par là je finis ?
Mille autres te diront que pour ce bien suprême, 85
Vainqueur de toutes parts, tu t’es vaincu toi-même ;
Ils diront à l’envi les bonheurs que la paix
Va faire à gros ruisseaux pleuvoir sur tes sujets ;
Ils diront les vertus que vont faire renaître
L’observance des lois et l’exemple du maître ; 90
Le rétablissement du commerce en tous lieux,
L’abondance partout répandue à nos yeux,
Le nouveau siècle d’or qu’assure ton empire,
Et le diront bien mieux que je ne le puis dire.
Moi, pour qui ce beau siècle est arrivé si tard 95
Que je n’y dois prétendre ou point ou peu de part ;
Moi, qui ne le puis voir qu’avec un œil d’envie
Quand il faut que je songe à sortir de la vie,
Je n’ose en ébaucher le merveilleux portrait,
De crainte d’en sortir avec trop de regret. 100


  1. Le premier traité conclu à Nimègue fut celui de la France avec la Hollande : il fut signé le 10 août 1678.