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Et vous déshonorez vos belles destinées
Quand l’œuvre d’onze jours vous coûte des années.
Cependant à vos yeux, et dans le même été,
Aire, Condé[1], Bouchain n’ont presque rien coûté ; 60
Et Mastricht voit tourner vos desseins en fumée,
Quand ce qu’il vous en coûte auroit fait une armée.
Ainsi, bien que la prise ait suivi le blocus,
Que devant Philisbourg nous paroissions vaincus,
Si pour rendre à vos lois cette place fameuse 65
Le Rhin vous favorise au refus de la Meuse[2],
Si pour d’autres exploits il anime vos bras,
Pour un peu de bonheur ne nous insultez pas ;
Et surtout gardez-vous de le croire si ferme,
Que vous vous dispensiez de trembler pour Palerme[3], 70
Pour Ypre, pour Cambray, Saint-Omer, Luxembourg :
Tremblez même déjà pour votre Philisbourg.
Le nom seul de mon roi vous est partout à craindre :
À triompher de vous cessez de le contraindre ;
Et jusques à la paix, qu’il vous offre en héros, 75
Craignez sa vigilance, et même son repos.


  1. Condé, investi le 17 avril par le maréchal de Créquy, fut pris dans la nuit du 25 au 26.
  2. La ville de Maestricht est, comme l’on sait, située sur la Meuse, d’où elle tire son nom ; Philisbourg est près du Rhin.
  3. Le duc de Vivonne brûla en 1676 la flotte hollandaise en vue de Palerme. Cambrai se rendit au Roi le 5 mai 1677 ; Saint-Omer à Monsieur, le 20 du même mois ; et Ypres au Roi, le 25 mars 1678. Le traité de Nimègue conclu la même année (1678) assura à la France la possession de ces trois places. Luxembourg fut pris par le maréchal de Créquy en 1684 ; Philisbourg ne fut repris qu’en 1688, par le Dauphin.