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Se donne à des vainqueurs que rien n’a signalés, 155
Et leur ouvre des murs qu’ils n’ont pas ébranlés.
Misérables ! quels lieux cacheront vos misères
Où vous ne trouviez pas les ombres de vos pères,
Qui morts pour la patrie et pour la liberté
Feront un long reproche à votre lâcheté ? 160
Cette noble valeur autrefois si connue,
Cette digne fierté, qu’est-elle devenue ?
Quand sur terre et sur mer vos combats obstinés
Brisoient les rudes fers à vos mains destinés,
Quand vos braves Nassaus, quand Guillaume et Maurice, 165
Quand Henri vous guidoit dans cette illustre lice[1],
Quand du sceptre danois vous paroissiez l’appui[2],
N’aviez-vous que les cœurs et[3] les bras d’aujourd’hui ?

    Colla jugo ; juvat enerves in vincula dextras,
    Necdum tentatos victori pandere muros.
    Quo fugitis, Batavi ? non est satis apta triumpho
    Materies, quatuor, totidem nec solibus, urbes
    Hostis in imperium peregrinaque cedere jura ?
    Reza quid, et vacuo patet insuper Embrica vallo ?
    Proh pudor ! Egregios cineres, albentiaque ossa,
    Proque focis quondam, pro libertate cadentum
    Magnorum tumulos pedibus pulsatis avorum,
    Hac quacumque fuga est. At quo gens Martia vobis,
    Auriaci proceres, vanæque superbia mentis
    Quonam abiit ? quonam ille mari tam nobilis ardor,
    Et nuper Dani servatrix dextera sceptri ?
    Nil agimus monitis : casus malaque omnia contra

  1. Guillaume Ier de Nassau, dit le Taciturne, né en 1533, assassiné en 1584 ; Maurice, son fils aîné, né en 1567, mort en 1625 ; Frédéric-Henri de Nassau, son autre fils, né en 1584, mort en 1647, qui luttèrent tous trois héroïquement et avec une rare habileté contre les Espagnols.
  2. En 1658, la Hollande avait envoyé une flotte au secours des Danois, et les avait soutenus victorieusement contre Charles-Gustave, roi de Suède.
  3. Que, au lieu de et, dans l’édition de Granet.