Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 10.djvu/272

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Juste ciel ! me trompé-je ? ou si déjà la guerre
Sur les deux bords du Rhin fait bruire son tonnerre ?
Condé presse Vesel[1], tandis qu’avec mon roi
Le généreux Philippe[2] assiège et bat Orsoi ; 120
Ce monarque avec lui devant Rhimbergue tonne,
Et Turenne promet Buric à sa couronne.
Quatre sièges ensemble, où les moindres remparts
Ont bravé si longtemps nos modernes Césars,
Où tout défend l’abord (qui l’auroit osé croire ?), 125
Mon prince ne s’en fait qu’une seule victoire[3].
Sous tant de bras unis il a peur d’accabler,
Et les divise exprès pour faire moins trembler ;
Il s’affoiblit exprès pour laisser du courage ;
Pour faire plus d’éclat il prend moins d’avantage ; 130
Et n’envoyant partout que des partis égaux,
Il cherche à voir partout répondre à ses assauts.

    Ludimur ? an gemino Rheni de littore clamor
    Insonuit ? Jam Vesaliæ furit acer in arces
    Condæus, jam Buricio Turennius instat,
    Jam simul Orsoyam Lodoix cum fratre Philippo
    Rhimbergamque premunt : quippe uni insistere lentum est
    Ignavumque operi ; numero neve obruat hostes,
    Partiturque aciem, et curas divisus in omnes
    Fit minor, ut paribus sese hosti accommodet armis,
    Æquior et veniat, nec jam sine sanguine, palma.

  1. « Orsoi se rend au Roi le 3 juin, pendant que M. de Turenne prenoit Burich. Monsieur le Prince prend Vesel le 4 ; Rhimberg (Rheinberg) se rend au Roi le 6 ; Émeric à Monsieur le Prince le 7. » (Abrègé chronologique du président Hénault.)
  2. Philippe, duc d’Orléans, frère de Louis XIV.
  3. « Quelle fut la surprise de tout le monde lorsque l’on apprit qu’il (Louis XIV) avoit mis le siège devant quatre fortes villes en même temps, et que, sans qu’il eût fait ni lignes de circonvallation ni de contrevallation, ces quatre villes s’étoient rendues à discrétion au premier jour de tranchée ? » (Racine, Précis historique des campagnes de Louis XIV.)