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Toi qui fis tous ces dieux, qui fis Jupiter même ?
Pourras-tu respecter ces nouveaux souverains
Jusqu’à laisser périr l’ouvrage de tes mains ?
Ô digne de périr, si jamais tu l’endures ! 25
D’un si mortel affront sauve tes créatures ;
Confonds leurs ennemis, insulte à leurs tyrans ;
Fais-nous, en dépit d’eux, garder nos premiers rangs ;
Et retirant ton feu de leurs veines glacées,
Laisse leurs vers sans force, et leurs rimes forcées. 30
« La fable en nos écrits, disent-ils, n’est pas bien ;
La gloire des païens déshonore un chrétien. »
L’Église toutefois, que l’Esprit saint gouverne,
Dans ses hymnes sacrés nous chante encor l’Averne,
Et par le vieil abus le Tartare inventé 35
N’y déshonore point un Dieu ressuscité[1].

    Vidimus arguta mœnia structa lyra.
    Vidimus auritas motare cacumina quercus,
    Et cursus amnes sustinuisse suos.
    Dant vates vultus varios variosque colores,
    Eque solo ducunt quæ super astra ferant.
    Surda vocant, immota movent, mentem omnibus addunt :
    Artis opus summum, mille placere modis.
    Obscuris vera involvunt, celantque docendo,
    Sublustri et nebula splendidiora tegunt.
    Sol veluti, rutilis quando fulgoribus ardet,
    Nubibus obvolvi, qua videalur, amat ;
    Maxima sunt plerumque tegit quæ fabula, et illis
    E tenebris fulget pulchrius orta dies.
    Lector amat veros dubia sub imagine sensus,
    Quæsitasque diu cernere gaudet opes.
    Quin etiam humanis divina affingimus ora,

  1. Voyez au tome IX la traduction des Hymnes du Bréviaire romain, que Corneille a publiée la même année que cette Défense des fables, c’est-à-dire en 1670. On lit dans une hymne des matines du dimanche (p. 451) : Averni ignibus ; et dans l’hymne des vêpres du temps