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Qui puissent remplacer ce que vous nous ôtez ;
Et ne nous livrez pas aux tons mélancoliques
D’un style estropié par de vaines critiques. 10
Quoi ? bannir des enfers Proserpine et Pluton ?
Dire toujours le diable, et jamais Alecton ?
Sacrifier Hécate et Diane à la Lune,
Et dans son propre sein noyer le vieux Neptune ?
Un berger chantera ses déplaisirs secrets 15
Sans que la[1] triste Écho répète ses regrets ?
Les bois autour de lui n’auront point de dryades ?
L’air sera sans zéphyrs, les fleuves sans naïades,
Et par nos délicats les faunes assommés
Rentreront au néant dont on les a formés[2] ? 20
Pourras-tu, dieu des vers, endurer ce blasphème,

    Ecquis erit vestros posthac qui curet honores,
    Irrita si nullam numina fertis opem ?
    Non ita : tot veterum præclara inventa manebunt.
    Et quod sacravit fabula prisca melos.
    Numen habent Musæ, vos fontes numen habetis,
    Sunt etiam et silvis arboribusque deæ.
    Et nemora, et montes, vallesque, et inhospita saxa,
    Ipsaque cum rivis flumina numen habent.
    Nuper multa gemens in littore flebat Amyntas,
    Et fato raptum sæpe vocabat Hylam.
    Flebant et rupes, fontesque et littora flebant ;
    Flere etiam visa est conscia nympha loci ;
    Et montes doluisse, annosaque robora circum
    Corticibus ruptis ingemuisse ferunt.
    Quid non Pierides, quid non finxere poetæ ?

  1. Il n’y a la que dans l’édition in-4o. Toutes les autres portent le, mais c’est une faute évidente.
  2. Voyez dans le IIIe chant de l’Art poétique de Boileau (vers 163 et suivants) un assez long passage où l’auteur paraît se souvenir des vers de Santeul et de Corneille et défend la même opinion. Le vers 232 de Boileau : « D’ôter à Pan sa flûte, » rappelle notre 49e : « Otez Pan et sa flûte. »