Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 10.djvu/132

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Qu’à son tour en ces lieux cet amour la rappelle,
Et que les cœurs, plongés dans le ravissement,
N’en puissent plus souffrir ce long bannissement. 80
Mais que dis-je ? tu vas rappeler cette reine
Avec bien plus de gloire, et beaucoup moins de peine.
Ce que je n’ai pu faire avec toutes mes voix,
Quoique j’aye eu pour moi jusqu’à celle des rois,
Quoique toute leur cour, de mes douceurs charmée, 85
Ait par delà mes vœux enflé ma renommée,
Un coup d’œil le va faire, et ton art plus charmant
Pour un si grand effet ne veut qu’un seul moment.
Je vois, je vois déjà dans ton académie,
Par de royales mains en ces lieux affermie, 90
Tes Zeuxis renaissants, tes Apelles nouveaux,
Étaler à l’envi des chefs-d’œuvres si beaux,
Qu’un violent amour pour des choses si rares
Transforme en généreux les cœurs les plus avares,
Et les précipitant à d’inouïs efforts, 95
Fait dérouiller les clefs des plus secrets trésors.
Je les vois effacer ces chefs-d’œuvres[1] antiques,
Dont jadis les seuls rois, les seules républiques,
Les seuls peuples entiers pouvoient faire le prix,
Et pour qui l’on traitoit les talents de mépris[2] ; 100
Je vois le Potosi[3] te venir rendre hommage,

  1. Ce mot composé est écrit chef-d’œuvres dans les éditions imprimées du vivant de Corneille, aussi bien au vers 92 que dans celui-ci. Il y a là, pour le temps, une irrégularité quant au premier élément, mais non pas quant au second : on mettait autrefois au pluriel aussi bien œuvres que chefs. C’est encore l’orthographe de l’Académie dans la quatrième édition de son Dictionnaire (1762).
  2. C’est-à-dire auprès desquels les talents d’or et d’argent étaient considérés comme peu de chose, comme ne pouvant suffire à les payer. Talent est pris ici dans le sens antique, et désigne un poids, une somme d’or ou d’argent.
  3. La riche mine d’argent de l’ancien Pérou.