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LVIII
NOTICE BIOGRAPHIQUE

Son dénûment ne fit que s’accroître à l’approche de ses derniers moments, et Boileau indigné alla chez le Roi pour faire rétablir la pension de Corneille, et offrit le sacrifice de la sienne. « Action très-véritable, dit Louis Racine, que m’a racontée un témoin encore vivant ; on a eu tort de la révoquer en doute, puisque Boursault, qui ne devoit pas être disposé à le louer, la rapporte dans ses lettres[1]. » Le Roi envoya immédiatement deux cents louis ; ce fut la Chapelle, parent de Boileau, qui fut chargé de les porter. Le P. Tournemine, qui met en doute l’exactitude de tout ce récit, convient toutefois de cette circonstance[2]. Ce secours avait été bien tardif ; l’illustre poète expira peu de jours après l’avoir reçu[3]. Il mourut dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre 1684[4].

« Comme c’est une loi dans cette Académie (l’Académie française), dit Fontenelle, que le directeur fait les frais d’un service pour ceux qui meurent sous son directorat, il y eut une contestation de générosité entre M. Racine et M. l’abbé de Lavau, à qui feroit le service de M. Corneille, parce qu’il paroissoit incertain sous le directorat duquel il étoit mort. La chose ayant été remise au jugement de la Compagnie, M. l’abbé de Lavau l’emporta, et M. de Benserade dit à M. Racine : « Si quelqu’un pouvoit prétendre à enterrer M. Corneille, c’étoit vous : vous ne l’avez pourtant pas fait[5]. »

Ce à quoi il pouvait prétendre à plus juste titre et ce qu’il obtint, ce fut l’honneur de louer dignement son illustre rival. Lorsque, le 2 janvier 1685, Thomas Corneille, élu à l’unanimité à la place que son frère laissait vacante à l’Académie française, eut prononcé son discours de réception, ce fut Racine qui lui répondit. Il sut faire de son illustre prédécesseur un portrait

  1. Mémoires sur la Vie de Jean Racine, dans les Œuvres de Racine publiées par M. Mesnard, tome I, p  265. — Boursault rapporte le fait à la page 465 des Lettres nouvelles.
  2. Défense du grand Corneille en tête des Œuvres diverses de P. Corneille (Paris, 1788, in-12), p. XXXII et XXXIII.
  3. Mercure galant, octobre 1684, p. 79.
  4. Voyez République des lettres, janvier 1685, p. 33 ; et ci-après, Pièces justificatives, n° XVI.
  5. Œuvres de Fontenelle, tome III, p. 120.