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LVI
NOTICE BIOGRAPHIQUE

le testament poétique de Corneille, et dans laquelle il recommande, avec une éloquence si simple, ce qu’il avait de plus cher au monde : ses chefs-d’œuvre, pour lesquels il craignait l’oubli ; puis ses deux derniers fils : le capitaine, pour qui il tremblait ; l’ecclésiastique, sur qui il cherche encore à attirer l’attention royale, et qui obtint enfin, le 10 avril 1680, l’abbaye d’Aiguevive en Touraine[1]. Se peut-il que cette noble supplique n’ait pas suffi pour assurer la tranqullité de sa vieillesse ? Pourquoi faut-il qu’il ait été obligé d’écrire à Colbert la lettre déchirante dans laquelle il se plaint du malheur qui l’accable « depuis quatre ans, de n’avoir plus de part aux gratifications dont Sa Majesté honore les lettres ? »

Aux motifs d’inquiétude qu’avait alors Corneille se joignait l’ennui d’un long procès intenté à sa famille par suite d’une tutelle de son père, et dans lequel il jugea utile d’intervenir, quoique n’ayant pas été d’abord compris dans la poursuite[2].

C’est à cette époque de la vie du poète que se rapporte la lettre suivante, écrite, en 1679, par un Rouennais à un de ses amis, et publiée par M. Em. Gaillard, qui, par malheur, ne dit ni où est l’original de la lettre, ni quel en est l’auteur, ni à qui elle est adressée[3] :

« J’ai vu hier M. Corneille, notre parent et ami ; il se porte assez bien pour son âge. Il m’a prié de vous faire ses amitiés. Nous sommes sortis ensemble après le dîner, et en passant par la rue de la Parcheminerie, il est entré dans une boutique pour faire raccommoder sa chaussure, qui étoit décousue. Il s’est assis sur une planche, et moi auprès de lui ; et lorsque l’ouvrier eut refait, il lui a donné trois pièces qu’il avoit dans sa poche. Lorsque nous fûmes rentrés, je lui ai offert ma bourse ; mais il n’a point voulu la recevoir ni la partager. J’ai pleuré qu’un si grand génie fût réduit à cet excès de misère. »

Au commencement de 1680, « sitôt, dit le Mercure[4], que le mariage (du Dauphin) fut déclaré, » Corneille, alors âgé de près

  1. Tome X, p. 313 et 314, et p. 501.
  2. Voyez Pièces justificatives, n° XIV.
  3. Nouveaux Détails sur P. Corneille, dans le Précis analytique des travaux de l’Académie de Rouen, 1834, p. 167.
  4. Le Mercure galant, mars 1680, p. 261.(>i.